Chronique de la Russie qui proteste // 12 – 18 novembre 2022

Chronique de la Russie qui proteste // 12 – 18 novembre 2022

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


Répressions dans le milieu éducatif

Deux étudiantes du lycée de l’École supérieure en sciences économiques de Moscou ont refusé de se lever lors de l’exécution de l’hymne national russe pendant le cours « Conversations sur l’essentiel “ et ont diffusé à la place l’hymne ukrainien, rapporte DOXA. Leur acte a été filmé et posté sur un canal privé. Cependant, la vidéo a été rendue publique, après quoi les jeunes filles ont commencé à être harcelées à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement, notamment sur les chaînes du mouvement Z et la chaîne Telegram de RT.

Menacées de poursuites pénales, les deux étudiantes ont été contraintes d’enregistrer une vidéo d’excuses. Des lecteurs de DOXA rapportent que les jeunes filles pourraient avoir été expulsées de l’établissement. L’administration du lycée n’a pas commenté la situation.

Protestation murale 

Le 15 novembre à Voronezh, un inconnu a aspergé de peinture rouge une  affiche accrochée dans la rue Antonov-Ovseenko « en l’honneur de la vaillance militaire du capitaine de la garde Sergei Reshetnikov », rapporte la chaîne Activatika sur Telegram. Le gouvernement régional recherche des témoins.


La région de Tomsk a abandonné les poursuites pénales pour vandalisme à l’encontre de Natalya Indukaeva, retraitée, écrit Activatika. En mars de cette année, elle avait tracé une inscription anti-guerre sur le mur de la Maison de  la culture locale. L’affaire a été classée en raison du « repentir actif » de la coupable : avec l’aide des abonnés de la chaîne Siberia Media, elle a remboursé les dommages matériels, qui s’élèvent à 16 900 roubles.


À Saint-Pétersbourg, un juge du district de Pushkinsky a condamné un citoyen ukrainien, Yegor Kazants, à une amende de 30 000 roubles. Le 10 mai, l’homme avait inscrit « Gloire à l’Ukraine » sur la façade d’un immeuble. Le tribunal n’ayant pas trouvé de circonstance aggravante, Yegor a été remis en liberté dans la salle d’audience, et le temps qu’il a passé en détention provisoire a été pris en compte pour payer l’amende. Initialement, les autorités avaient tenté d’imputer une sanction pénale à cet homme. 


A Krasnoobsk (région de Novossibirsk), Dmitry Karimov, soupçonné d’avoir mis le feu à une affiche de soutien à la guerre, a été envoyé pour examen dans une clinique psychiatrique, écrit OVD-Info. Le jeune homme devra rester dans l’établissement médical pendant au moins un mois. Une procédure judiciaire a également été ouverte contre Karimov pour destruction volontaire ou détérioration de biens par incendie criminel.


A Penza, le tribunal a classé une affaire administrative contre Albert Gerasimov, un habitant de la ville, écrit OVD-Info. En juin, Gerasimov avait été accusé de discréditer l’armée russe en raison de l’inscription « Paix au monde, pas besoin de guerre, telle est la devise de l’escouade Druzhba », qu’il avait apposée sur la clôture de l’ancien gouverneur de la région de Penza, Ivan Belozertsev. Les experts du laboratoire de médecine légale de Penza du ministère de la justice ont conclu que l’inscription ne discréditait pas les forces armées. 


Le tribunal du district Moskovsky de Saint-Pétersbourg a abandonné les poursuites administratives à l’encontre d’Elizaveta Savina et de Marina Sergeyeva, rapporte OVD-Info. À la mi-juillet, les jeunes filles avaient écrit la phrase « Paix à l’Ukraine » devant la station de métro Elektrosila. Elles avaient été arrêtées et, après 15 heures passées au commissariat, la police avait dressé un procès-verbal pour discrédit à l’encontre de l’armée russe et trouble mineur à l’ordre public. Une procédure pénale a également été ouverte contre Marina Sergeyeva pour vandalisme, ce qui a poussé la jeune femme à quitter le pays.

Piquets de protestation solitaires

Source de la photo : OVD-Info

À Moscou, la police a arrêté Leonid Lyapunov, qui se tenait près du Kremlin muni d’une pancarte « Non à la guerre », rapporte Activatika


À Saint-Pétersbourg, à l’intérieur du centre commercial Galereya, Lilia Yushchenko, mère de deux enfants, a tenu un piquet de protestation solitaire avec une pancarte « Non à la guerre ». Les agents de sécurité du centre commercial lui ont confisqué sa pancarte et ont appelé la police, écrit Activatika


Dans la région de Kaliningrad, des militants se sont exprimés contre la guerre, rapporte Activatika


Le 12 novembre, Abdurauf Nabiyev a été arrêté sur la place Manezhnaya, à Moscou, après s’être produit avec une pancarte « Non à la guerre ! », rapporte Activatika. L’homme a été relâché après qu’un procès-verbal administratif pour discrédit à l’encontre de l’armée russe ait été rédigé.


À Khabarovsk, le militant Nikolai Zodchiy est sorti muni d’une affiche « Satan gouverne la Russie », écrit Activatika. Un policier s’est approché de lui. Il a tenté d’accuser Zodchiy de discréditer les autorités russes, mais n’a pas pu citer l’article de loi correspondant.

Pression sur la culture

Le théâtre dramatique académique bachkir M. Gafuri a annulé un spectacle tiré du roman Zuleikha ouvre les yeux  de Gouzel Yakhina, écrit OVD-Info. L’écrivaine s’est opposée à la guerre en Ukraine.


L’artiste Pokras Lampas, l’actrice Ksenia Rappoport et l’ex-responsable du département d’art contemporain du musée de l’Ermitage, Dmitry Ozerkov, qui se sont opposés à la guerre, ont été exclus du Conseil de la culture et de l’art de Saint-Pétersbourg, rapporte OVD-Info. Pavel Prygara, ancien directeur du centre d’exposition Manège, a également quitté le conseil.

Affaires pénales

A Irkoutsk, Ilya Podkamenny, un jeune homme de 18 ans, a été arrêté après avoir enroulé du fil de cuivre sur des rails de chemin de fer et y avoir accroché des tracts manuscrits rédigés sur des feuilles de cahier. L’homme est accusé d’incitation publique à l’extrémisme.


Un tribunal d’Oulan-Oude a placé une militante de l’endroit, Natalia Filonova, en détention préventive jusqu’au 5 décembre, rapporte le FAS. La militante observe actuellement une grève de la faim hydrique.


 Elle est accusée de violence à l’encontre d’un officier de police. Selon l’enquête, le 26 septembre, au tribunal, elle a frappé un policier de la main et en a blessé un autre en l’atteignant au visage avec un stylo. Les forces de l’ordre considèrent ce geste fatal porté avec un stylo comme une « violence dangereuse pour la vie et la santé », car l’objet aurait frôlé  l’œil du policier. La femme est assignée à résidence depuis le 22 octobre.


Les autorités tentent également de retirer à Natalya la garde de son fils adoptif handicapé. Selon les défenseurs des droits humains, cette mesure est nécessaire pour l’emprisonner, car les mères d’enfants handicapés bénéficie de privilèges dans l’application des peines privatives de liberté.

Son fils mineur doit être remis aux autorités de tutelle. Le mari de Natalia est hospitalisé suite à un infarctus.

Pression liée à des activités en ligne

Le tribunal Leninsky de la ville Vladimir a ordonné le blocage d’une pétition contre la mobilisation, sur Change.org. Cette pétition contre la mobilisation générale et partielle, lancée par le mouvement Soft Power, a recueilli à ce jour plus de 452 000 signatures.


Le Comité de surveillance de la Fédération de Russie a restreint en Russie l’accès au site web de Novaïa Gazeta et à son projet « espace libre ». Novaïa Gazeta avait déjà suspendu, depuis le 28 mars, la publication de ses contenus « sur le site, sur les réseaux et sur papier » jusqu’à la fin de la guerre en Ukraine. Par ailleurs, un media de Sakhalin Sakhkom a aussi déclaré le blocage de ses ressources. Selon les journalistes de la publication, ils n’avaient reçu aucun avertissement du Comité de surveillance.


A Moscou, le parquet du district sud-ouest a approuvé l’inculpation de Dmitry Talantov, un avocat originaire d’Oudmourtie, rapporte OVD-Info. Il est accusé de diffusion publique de fausses informations sur les actions des forces armées de la Fédération de Russie et d’incitation à la haine ou à l’hostilité. Les accusations pénales contre Talantov se basent sur ses publications sur les réseaux sociaux. Dans l’une d’entre elles, il qualifiait les actions de l’armée russe à Marioupol, Irpen et Boutcha de « pratiques nazies extrêmes ».


À Abakan (République de Khakassie), un tribunal a renvoyé au parquet l’affaire pénale intentée contre Mikhail Afanasyev, rédacteur en chef de Novy Focus, pour diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe. Le prévenu lui-même a été maintenu en détention jusqu’au 16 janvier. Le journaliste est accusé d’avoir diffusé de « fausses informations » militaires en profitant de son statut professionnel. L’affaire contre lui avait été ouverte en avril. Elle se fondait sur un article paru sur le site Web de Novy Focus, affirmant que 11 soldats des forces spéciales de Khakassie avaient refusé de combattre en Ukraine. Le 15 avril, le tribunal avait placé Afanasyev en centre de détention provisoire, et il y est toujours. L’enquête s’est achevée fin octobre, et les pièces du dossier ont été remises au tribunal.


L’appartement du blogueur de gauche, Andrei Rudy, à Dzerzhinsk (région de Nizhny Novgorod) a été perquisitionné. L’épouse du militant était présente. La perquisition a été motivée par une procédure pénale engagée à la suite d’une publication anti-guerre sur VKontakte. Aucun objet n’a été saisi.


Un tribunal de la région de Nizhny Novgorod a restreint les libertés du militant Andrei Rossiev, rapporte OVD-Info. Il est accusé d’avoir diffusé de « fausses informations » sur l’armée russe et d’avoir incité à la haine ou à l’hostilité sur internet en menaçant de recourir à la violence. Le parquet a demandé le maintien de Rossiev en détention provisoire, mais le tribunal a rejeté cette demande. Rossiev n’est pas autorisé à utiliser les moyens de communication en ligne et Internet, mais il est autorisé à supprimer ses « propos incitant à la haine » sous la surveillance de l’enquêteur. Le militant est accusé d’avoir publié sur VKontakte 37 commentaires relevant  des deux chefs d’accusation portés contre lui. 

Divers

Un militant a porté plainte auprès du Parquet général contre l’auteur de la marche « sur Washington » récemment organisée à Moscou, au cours de laquelle les participants ont appelé l’État à frapper les « ennemis » avec un missile nucléaire, rapporte Activatika. Il a demandé que l’organisateur fasse l’objet d’une enquête pour avoir publiquement appelé à lancer une guerre agressive,  avoir discrédité les forces armées russes et violé les règles sanitaires liées au COVID-19. 


Le joueur de tennis russe Andrey Roublev a lancé un appel à la paix après avoir battu son compatriote Daniil Medvedev lors des finales de l’ATP lundi.

Selon la chaîne Telegram Réveille-toi !, Roublev, qui a terminé à la septième place, a écrit sur l’objectif d’une caméra de télévision « Paix, paix, paix, c’est tout ce dont nous avons besoin ».

Bonus : Manifestation dans la forêt🌲

Source de la photo : Manifestation visible.

Affiche « Paix à l’Ukraine,  liberté  pour la Russie ! » dans un parc à Novosibirsk.


Source de la photo : Activatika.

Moscou, forêt de Bittsevsky.

Inscription sur la clôture « Non à la guerre ! »


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.