Chroniques de la Russie qui proteste // 19-25 nov 2022

Chroniques de la Russie qui proteste // 19-25 nov 2022

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


Suicide d’un conscrit

Un conscrit de Komi (okroug fédéral au Nord-Est), Sergey Grindin a mis fin à ses jours le 10 février. Une photo de sa note de suicide est apparue le 14 février dans laquelle Grindin dit qu’il a demandé la permission à son chef de peloton de ne pas aller en Ukraine. Après quoi, le commandant et les sergents « ne lui ont pas laissé de répit avec leurs moqueries ». Grindin écrit qu’il ne peut pas parler de toutes ces intimidations, commises par « ces animaux », mais qu’il espère qu’ils seront emprisonnés pour incitation au suicide. « J’ai pris la décision de mourir ici, sur ma terre natale sans le sang d’autres personnes sur les mains ».


Sergey Grindin et la lettre qu’il a laissé avant de mettre fin à ses jours

Les rues de la protestation

A Moscou, sur le socle du bas-relief  «Le Travailleur et kolkhozienne », la plaque indiquant 123 b Boulevard de la Paix a été maquillée et est devenue le « 123b Boulevard de la Non-guerre ».

Photo publiée par la chaîne Telegram Видимый протест

Âgé de 84 ans, le peintre Vladimir Ovtchinnikov a tracé des graffitis anti-guerre à propos de la lettre Z, devenue signe de soutien à la guerre, à Borovsk (région de Kalouga). Alors que son action était filmée, deux passants coururent à lui, se mirent à recouvrir les graffitis de neige et à bombarder le caméraman de boules  de neige. Les passants exigèrent que les graffitis anti-guerre fussent recouverts d’un badigeon et traitèrent le peintre et l’opérateur de « fascistes », terme accompagné d’injures antisémites.

Le peintre n’en est pas à sa première action anti-guerre. Le 24 février 2022, il peint des volets de fer aux couleurs du drapeau ukrainien, traçe à un arrêt de bus le symbole du pacifisme et dessine des graffitis suite à l’évacuation de Kherson par l’armée russe. Il a également reçu une amende pour son dessin montrant une fillette sous les bombes. Source  7 х 7 – Горизонтальная Россия).


Un graffiti anti-guerre a également fait son apparition à Khabarovsk (Extrême-Orient).

Source : « Protestation visible »

Des activistes du parti libéral Iabloko, Maria Volokh, Maria Balandina, Irina Rodionova et Victoria Makeeva ont mené une action anti-guerre à Moscou (communiqué de la chaîne Telegram #ОЧНИСЬ! (« Réveille-toi »). Les jeunes filles se sont rendues devant le bâtiment du Ministère de la Défense en combinaisons de protection blanches portant l’inscription « NO NUKES » (non aux frappes « nucléaires ») et ont allumé des fumigènes.


Des inscriptions anti-guerre ont fait leur apparition sur les murs d’Ijevsk, nous annonce la chaîne Telegram Активатика / Aktivatika. L’appel à mettre fin aux « guerres fraternelles » a été immédiatement recouvert de peinture verte par les Services de propreté de la ville. 


En Tchouvachie des inconnus ont brisé les vitres de la bibliothèque affichant les lettres Z et V. D’après les journalistes de la chaîne 7 х 7 – Горизонтальная Россия, la page de la bibliothèque sur le réseau social VKontakte expliquait que les symboles de l’agression militaire étaient affichées sur ses fenêtres pour exprimer la « solidarité » avec les habitants du Donbass, ainsi que le président et l’armée russes, s’agissant de l’une des « orientations prioritaires de la bibliothèque, l’aide à l’éducation patriotique de la jeunesse ».


A Rostov-sur-le-Don et Nijni-Novgorod il y a des piquets solitaires contre la guerre (communiqué de Движение Весна / Mouvement Printemps).


Selon la chaîne Telegram #ОЧНИСЬ! (« Réveille-toi ») ces derniers jours, des piquets anti-guerre suivants ont eu lieu : un homme à Moscou, Ilia Tourkin à Samara, Eugène Solod à Krasnodar, Alexeï Martchenko à Blagovechtchensk, Denis Nikitin à Perm, un habitant de Perm Rinat. De même, Guerman Terechtchenko a exigé la paix depuis Moscou.


A Vologda, l’activiste Elena Levina a tenu un piquet solitaire avec un écriteau appelant à la paix. La jeune fille a été arrêtée par la police, nous annonce la chaîne Telegram « RusNews ».


Actes de protestation pacifiques contre l’appel à la mobilisation

Des mobilisés refusent toujours de participer aux combats, subissant des condamnations, ainsi que la torture : on les enferme dans des fosses et des caves, sans procès ni enquête. La rédaction russe de la BBC relate ce qu’il arrive aux citoyens russes qui refusent de faire leur service militaire sur le territoire ukrainien. Afin d’obtenir une assistance juridique, les objecteurs se tournent vers la ligue pacifiste formé par les défenseurs des droits humains russes, « Prizyv k sovesti » (« L’Appel à la conscience »), qui explique comment défendre son droit à l’objection, et donne des conseils juridiques et des recommandations aux mobilisés et à leurs familles (lien vers le document « Quitter l’armée, afin de lutter pour le droit de ne pas combattre et de protéger sa santé et sa vie : quelles sont les sanctions possibles et comment réduire les risques de poursuite »)

Des élèves et des étudiants sont envoyés à des formations militaires qui préparent au service militaire et à la participation à la guerre. La ligue « Prizyv k sovesti » (« L’Appel à la conscience ») explique comment refuser de telles formations par objection de сonscience et s’opposer ainsi à la militarisation de la société.

L’appel sous les drapeaux continue et de nombreux appelés sont confrontés à des refus lorsqu’ils tentent de remplacer leur service militaire par un service civique alternatif, mais grâce au soutien des défenseurs des droits humains, ils se tournent vers la justice, et parviennent à échapper au service militaire. Les juges sont loin de se ranger toujours du côté de l’appelé, ils exigent qu’il fournisse « des preuves de ses convictions ». Les défenseurs des droits humains expliquent que pour exercer son droit au service civique, le mobilisé doit en effet exposer ses convictions pacifistes, sans cependant devoir les prouver.

La ligue pacifiste a reçu des messages venant de jeunes hommes qui, cette semaine, ont réussi à remplacer leur service militaire par un service civique. C’est par exemple le cas d’un homme convoqué au bureau de recrutement militaire, dans la région de Belgorod, qui a expliqué à la commission que ses convictions l’empêchaient de vivre dans un baraquement, de tolérer qu’on lui donne des ordres, qu’on le déshumanise et qu’on réprime sa volonté. Un appelé à Tcheliabinsk a également réussi à faire valoir son droit d’objection de conscience en présentant ses convictions. La commission de conscription l’a menacé de l’envoyer travailler à la morgue, mais il a insisté en évoquant ses opinions pacifistes : mieux vaut travailler dans une morgue aux côtés de personnes déjà mortes, que de suivre une formation militaire dont l’objectif est d’augmenter le nombre de morts.

Autres formes de protestation

Des partisan(e)s du groupe d’activisme artistique « Vesna » (« Le Printemps ») diffusent des fiches avec des conseils pour éviter la mobilisation. De nouveaux tracts ont fait leur apparition à Rostov-sur-le-Don, nous informe la chaîne Telegram « Vidimy Protest » (« La Protestation Visible »).



Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.