Chronique de la Russie qui proteste // 16 juin – 22 juin 2025

Chronique de la Russie qui proteste // 16 juin – 22 juin 2025

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville s’exprime 

Voronej (District fédéral central)

Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre 

Nijni Novgorod (District fédéral de la Volga)

Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre

Moscou

«Pour une Russie libre».

Mémoriaux 

À Moscou, des fleurs déposées au monument de Lesya Ukrainka après une frappe sur Kyiv

Le 17 juin, la Russie a lancé l’une des frappes les plus destructrices sur Kyiv depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. En réaction, des habitants de Moscou ont commencé à déposer des fleurs au pied du monument dédié à Lesya Ukrainka, en mémoire des victimes de cette attaque.

Piquets de protestation solitaire 

« Mères du monde entier, luttez pour la paix ! » : piquet anti-guerre à Novossibirsk

Le 21 juin, à Novossibirsk (district fédéral de Sibérie), des militants ont de nouveau participé à un « samedi de protestation » en organisant des piquets anti-guerre.

Vladimir Soukhov a manifesté avec une pancarte en soutien à Maria Ponomarenko, une journaliste anti-guerre condamnée pour « fausses informations » concernant l’armée, après une publication sur le bombardement du théâtre dramatique de Marioupol par les forces armées russes.

Elena Tardassova-Youn, quant à elle, portait plusieurs pancartes pour la paix :

« Nous avons besoin de la paix ! »

« Malédiction aux fauteurs de guerre ! Mères du monde entier, luttez pour la paix ! »

« Pour la défense de la paix, contre la mort »

et

« Il faut se battre pour la paix, bonne gens ! »

Poursuites

Une mère célibataire condamnée à 18 ans de colonie pénitentiaire pour avoir postulé à la Légion « Liberté de la Russie »

En 2023, Vera Sidorkina, originaire de Iochkar-Ola (République de Mari El, district fédéral de la Volga), avait contacté par une messagerie des représentants de la Légion « Liberté de la Russie ». Elle comptait rejoindre l’unité en tant qu’infirmière ou employée technique. Selon l’enquête, elle aurait transmis aux services spéciaux ukrainiens les coordonnées d’installations du ministère russe de la Défense et du complexe militaro-industriel, situées en Mari El.

Au printemps 2024, Vera Sidorkina avait tenté de quitter la Russie avec sa fille, mais elle avait été arrêtée et accusée de haute trahison. Le 20 juin, le tribunal d’Ekaterinbourg l’a condamnée à 18 ans de réclusion.

Sidorkina élevait seule sa fille, née en 2014. L’endroit où se trouve actuellement l’enfant est inconnu.

Un défenseur des droits humains d’Ossétie du Nord s’est opposé à la guerre et a appelé à tuer Poutine

Vissarion Aseev, un militant et défenseur des droits humains originaire de Beslan (district fédéral du Caucase du Nord), avait publié sur sa page Facebook un message appelant les Ossètes à ne pas partir à la guerre et à rester chez eux : «Pourquoi diable les Ossètes vont-ils mourir en Ukraine ? Restez chez vous ! Vous voulez tuer quelqu’un ? Tuez Poutine ! » avait-il écrit le 16 mars 2022.

Les enquêteurs et les experts ont considéré ce commentaire comme un appel à des actes terroristes — une « atteinte à la vie d’un représentant de l’État dans le but d’arrêter son activité ». Ces faits peuvent entraîner jusqu’à 10 ans de prison.

Vissarion Aseev a combattu dans les milices populaires lors de la prise d’otages à l’école de Beslan en septembre 2004, au cours de laquelle il a été blessé. Par la suite, il a activement aidé les anciens otages, notamment en organisant leur traitement médical à l’étranger. Il s’est également opposé aux répressions politiques, a organisé des manifestations et des piquets, a critiqué Ramzan Kadyrov, et a condamné l’annexion de la Crimée.

La fondatrice de « l’Armée des Beautés » condamnée à 22 ans de colonie pénitentiaire pour avoir aidé des réfugiés ukrainiens : 

Nadine Geysler (de son vrai nom Nadejda Rossinskaïa), originaire de Belgorod (district fédéral central), avait fondé le mouvement de bénévoles « l’Armée des Beautés », qui venait en aide aux réfugiés ukrainiens et acheminait de l’aide humanitaire vers les territoires occupés.

Les autorités russes l’ont accusée de haute trahison et de complicité de terrorisme. Selon l’accusation, Nadine aurait publié un message sur les réseaux sociaux appelant à faire des dons à la brigade spéciale ukrainienne « Azov ». Nadine Geysler affirme que le compte et la publication en question ne lui appartiennent pas.

Le tribunal l’a condamnée à 22 ans de réclusion et à une amende de 320 000 roubles (soit 14,2 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie). 

Une avocate défendant des prisonniers politiques anti-guerre risque jusqu’à 8 ans de prison

Maria Bonzler, une avocate originaire de Kaliningrad (district fédéral du Nord-Ouest), fondatrice et dirigeante du Comité des mères de soldats de Kaliningrad, a défendu en justice plusieurs militants anti-guerre après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Elle a notamment représenté Igor Baryshnikov.

Fin mai, cette avocate de 64 ans a été arrêtée, accusée de « collaboration confidentielle avec un État étranger ». Cet article du code pénal prévoit jusqu’à 8 ans de réclusion.

À la prison SIZO-1 de Kaliningrad, Maria subit pressions et humiliations. Souffrant d’une forme sévère d’hypertension, elle se voit refuser les soins médicaux. Végétarienne, elle ne reçoit pas les fruits envoyés par ses proches : le personnel pénitentiaire les jette. Récemment, elle a été « oubliée » sous une pluie battante pendant sa promenade et n’a pas été autorisée à regagner sa cellule.

Un étudiant de la région de Tcheliabinsk ayant incendié une antenne-relais écope de 12 ans de prison à régime sévère

Dans la nuit du 25 mai 2024, Evgueni Vladytski, étudiant en droit originaire de la ville de Kasli dans l’oblast de Tcheliabinsk (district fédéral de l’Oural), avait incendié une station de téléphonie mobile dans le quartier Kourchatov de Tcheliabinsk. Le sabotage avait causé la destruction d’équipements d’une valeur de 252 000 roubles. Le lendemain, il avait été arrêté.

Vladytski avait été accusé d’acte de sabotage et inscrit sur la liste des terroristes et extrémistes par l’agence fédérale Rosfinmonitoring. La semaine dernière, le tribunal a rendu son verdict : 12 ans de prison. Son complice est décédé d’une maladie chronique avant la fin de l’enquête.

Un journaliste condamné à une amende de 3,2 millions de roubles pour avoir reposté des publications sur Boutcha

Le journaliste Sergueï Mingazov avait partagé sur son média des textes publiés par Sibir.Realii, et le projet de la journaliste Farida Roustamova (Faridaily), à propos des événements survenus à Boutcha. En février 2025, il avait été reconnu coupable de diffusion de « fausses informations » sur l’armée et condamné à une amende de 700 000 roubles (soit 31,1 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie). Mais la semaine dernière, la cour régionale de Khabarovsk a examiné l’appel du parquet contre le verdict et a porté l’amende à 2 500 000 roubles (soit 111,4 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie), en tenant compte de l’année qu’il avait passée en assignation à résidence.

Le tribunal lui a également interdit d’administrer des sites ou des comptes sur Internet. 

Un acteur condamné à 17 ans de prison pour tentative de sabotage ferroviaire dans la région de Belgorod

L’acteur et metteur en scène originaire de Novossibirsk (district fédéral sibérien), Viktor Mosienko, préparait un acte de sabotage sur une voie ferrée dans la région de Belgorod, à la demande de la Légion « Liberté de la Russie ». Il prévoyait ensuite de remettre à l’armée ukrainienne sa voiture, des équipements et de l’argent. Mosienko avait reçu de son « coordinateur » des photos du site visé, récupéré un engin explosif dans une cache, et l’avait placé sous un pont ferroviaire : c’est là qu’il avait été arrêté par le FSB.

La semaine dernière, le deuxième tribunal militaire de district de l’Ouest l’a condamné à 17 ans de réclusion pour « haute trahison », « participation à une organisation terroriste », « préparation d’un sabotage » et « port illégal d’explosifs ».

Viktor Mosienko avait travaillé dans des théâtres à Saint-Pétersbourg et Moscou, et joué dans des films tels que Le Dossier de l’homme en Mercedes, Je m’appelle Arlequino, Confession d’une maîtresse entretenue, et d’autres.

Une blogueuse ayant critiqué la guerre en Ukraine envoyée en psychiatrie puis arrêtée

Le 12 juin, jour de la Fête de la Russie, Maria Makhmoutova, blogueuse originaire de Shelekhov, dans la région d’Irkoutsk, avait publié sur ses réseaux sociaux des stories critiquant violemment l’invasion de l’Ukraine.

Elle y disait notamment :

Le lendemain, la police l’a interpellée. Un procès-verbal a été dressé contre elle pour « récidive de discrédit à l’encontre de l’armée », et elle a été envoyée en traitement psychiatrique forcé. Le 18 juin, elle a d’abord été relâchée, puis de nouveau arrêtée dans le cadre d’une nouvelle affaire : pour outrage à policier.

Par ailleurs, le tribunal a reçu une plainte pour atteinte à l’honneur et à la dignité, déposée contre Maria Makhmoutova par un certain Ian Yachkine.

Une militante condamnée à une amende de 30 000 roubles pour avoir soutenu l’Ukraine sur les réseaux sociaux

Elena Chouvalova, originaire de Novossibirsk, avait exprimé son soutien à l’Ukraine sur les réseaux sociaux dans les premiers jours de l’invasion russe à grande échelle.

Ses publications, datant de plus de trois ans, montraient notamment un drapeau jaune et bleu accompagné du message « Laissez l’Ukraine tranquille », ainsi qu’un drapeau blanc-bleu-blanc avec la mention « Pour la paix ». Le procès-verbal indiquait également qu’elle avait employé des hashtags tels que : #нетвойне (non à la guerre), #противфашизма (contre le fascisme), #славаукраине (gloire à l’Ukraine), #мирумир (paix au monde), #зеленскийкрутой (Zelensky est génial).

Le 20 juin 2025, elle a été condamnée à une amende de 30 000 roubles (soit 1,33 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour « discrédit à l’encontre de l’armée ». 

Un compositeur et ex-vice-ministre de la Culture de Touva accusé de trahison pour avoir transmis des informations au renseignement ukrainien

Le FSB a annoncé que le compositeur et ancien vice-ministre de la Culture de la république de Touva (district fédéral sibérien), Ilia Sinikine, était accusé d’avoir mené des activités d’espionnage au profit du renseignement militaire ukrainien.

Selon l’enquête, il a recueilli et transmis des informations concernant la frontière entre la Russie et la Mongolie. Une procédure pénale pour haute trahison a été ouverte contre lui. Ce chef d’accusation est passible de la réclusion à perpétuité.

Refus de combattre 

Un soldat s’est évadé de l’hôpital sur des béquilles, avec des points de suture récents pour déserter

L’organisation Idite Lesom («Allez vous faire voir») a raconté l’histoire d’un déserteur russe ayant souhaité garder l’anonymat. Cet homme avait été envoyé à la guerre depuis une colonie pénitentiaire, après avoir signé un contrat sous la menace de voir sa peine prolongée de six ans. Lors d’une opération de combat, il a été blessé par un drone, le tibia fracturé. Hospitalisé, il a contacté les bénévoles de Idite Lesom, qui l’ont aidé à planifier sa fuite et à quitter le pays. Il s’est évadé directement de l’hôpital sur des béquilles, avec une broche dans la jambe et des points de suture récents. Il a franchi la frontière sur ses béquilles, avec un seul sac à dos, et a finalement recouvré la liberté.

Divers

Une vidéo contenant une chanson anti-guerre « interdite » découverte sur Odnoklassniki

Les forces de l’ordre ont découvert sur le réseau social Odnoklassniki une nouvelle vidéo qualifiée « d’extrémiste », où est interprétée une chanson intitulée « Écoute, maman, c’est l’Ukraine », écrite par un certain « Soldat russe » :

Cette chanson a été inscrite en 2024 sur la liste officielle des contenus interdits en Russie.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.