Chroniques de la Russie qui proteste // 2 – 8 juin 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Sourgout (oblast de Tioumen)



Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.
Poursuites
T-shirt pacifiste discréditant l’armée russe, le 9 mai

Nikolaï Dmitrouk, habitant de Toula (district fédéral central), s’est rendu au défilé du 9 mai en portant un t-shirt arborant une lettre Z barrée et l’inscription « Paix au monde, non à la guerre ». La police a arrêté le militant et rédigé un procès-verbal pour discrédit à l’encontre de l’armée. Le tribunal du district central de Toula a reconnu Nikolaï coupable et l’a condamné à une amende de 45 000 roubles (soit deux fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
Un militant de Pskov condamné à une amende pour une publication anti-guerre

Roman Ladychenko, militant et membre du parti Iabloko à Pskov (district fédéral nord-ouest), a été condamné à une amende de 40 000 roubles (soit 1,8 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour une publication anti-guerre sur le réseau social VKontakte.
Tu soutiens l’armée ukrainienne ? 3 ans de colonie pénitentiaire
Un habitant de Smolensk (district fédéral central) âgé de 25 ans avait fait l’éloge des actions des Forces armées ukrainiennes (VSU) dans des commentaires sur les réseaux sociaux, notamment des attaques de drones dans la région de Smolensk et des opérations de groupes de reconnaissance et de sabotage ukrainiens dans la région de Briansk. Il a été reconnu coupable de justification du terrorisme, ainsi que de diffusion en ligne de fausses informations sur les activités de l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale, pour une vidéo qui, selon les enquêteurs, « discréditait l’URSS et niait des faits établis par le tribunal de Nuremberg ».
Verdict du tribunal militaire : 3 ans de colonie pénitentiaire.
Un habitant d’Ekaterinbourg sanctionné pour un nouveau piquet de protestation contre la répression des pacifistes russes

Le militant Dmitri Novikov a été de nouveau interpellé juste après sa sortie du tribunal, où il venait d’être condamné à une amende pour ses piquets anti-guerre. Lors de ses précédentes actions, il avait exhibé des photos de villes ukrainiennes détruites et des portraits d’habitants de l’Oural tués au front. À peine sorti, il a entamé un nouveau piquet de protestation avec une pancarte : « Penser autrement est un crime. Depuis le début de 2022, plus de 10 000 de nos concitoyens ont été punis pour leur opposition à la guerre. » Il a été arrêté et condamné à une nouvelle amende de 15 000 roubles (soit 0,7 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour infraction à la législation sur les rassemblements publics.
16 ans de prison pour incendies de bâtiments officiels et commentaires critiques envers les autorités
Kirill Bobrov, 34 ans, originaire d’Oufa (République du Bachkortostan), aurait, selon les enquêteurs, créé une « organisation extrémiste visant à inciter à la haine ou à l’hostilité et à humilier la dignité » des hommes d’affaires, des fonctionnaires d’organismes publics et des membres du parti Russie unie. Il aurait également publié sur Internet des vidéos montrant les incendies d’immeubles gouvernementaux qu’il aurait lui-même commis, ainsi que des commentaires critiquant le pouvoir en Russie. Le tribunal a reconnu Kirill coupable de création d’une organisation extrémiste, d’incitation à la haine organisée avec usage de la violence, d’appels publics au terrorisme et d’incendies criminels organisés en groupe, et l’a condamné à 16 ans de prison.
Condamnée pour avoir écrit que les militaires russes partent tuer pour un morceau de viande
Oksana Kazantseva avait publié le commentaire suivant dans un chat de la chaîne d’Alexandre Nevzorov : « Rien que ta tronche d’abruti pro-régime est déjà une grande menace. Elle est comme celle des soldats russes qui sont partis tuer le peuple frère d’Ukraine pour un morceau de viande. Ce ne sont pas seulement des tueurs, mais des infanticides et des violeurs. Je le sais par expérience. »
Pour ces propos, le tribunal l’a reconnue coupable d’actions publiques visant à discréditer l’armée russe et lui a infligé une peine de 2 ans et demi avec sursis, assortie d’une interdiction de publier du contenu sur Internet.
« Un carnage insensé dans cette guerre »
Julia Morozova de Magadan (Grand Nord) avait écrit deux commentaires sur la chaîne Tout Magadan : « Un jour, nous devrons tous répondre de ces salauds au pouvoir » et « Vous ne comprenez pas que dans cette guerre les nôtres sont envoyés à un carnage insensé ? ». Le tribunal l’a condamnée à deux ans avec sursis, assortis d’une interdiction de publier sur Internet, pour « discrédit » à l’encontre des forces armées russes.
Un ancien policier jugé pour correspondance avec la Légion Liberté de la Russie et des inscriptions anti-guerre

Konstantin Podochvelov, 58 ans, homme d’affaires de Saint-Pétersbourg et ancien policier, avait inscrit en janvier 2024 sur les murs de l’Université polytechnique de Saint-Pétersbourg et de deux églises les graffitis suivants « ПОЛИТЕХ ZA УБИЙЦ » (« Polytech est pour les tueurs ») et « РПЦ ZA УБИЙЦ » (« L’Église orthodoxe russe est pour les tueurs »).
Il avait d’abord été arrêté pour dégradation d’objets du patrimoine culturel et vandalisme motivé par la haine politique. Cependant, le 13 juin 2024, Podochvelov a été accusé de participation à une organisation terroriste : il aurait réalisé ces inscriptions anti-guerre sur ordre de la Légion Liberté de la Russie et aurait également prévu de combattre pour l’Ukraine.
Le parquet a requis une peine de 18 ans de prison. Podochvelov nie les accusations et affirme avoir été torturé et menacé après son arrestation.
Une opératrice condamnée à 20 ans de colonie pénitentiaire pour tentative d’incendie d’un bureau de recrutement militaire
Une opératrice de la région de Sverdlovsk a été condamnée à 20 ans de colonie pénitentiaire pour avoir tenté d’incendier un bureau de recrutement militaire.
Valeriya Marchenko a été reconnue coupable de préparation d’un acte terroriste en groupe organisé, de haute trahison et de formation à des activités terroristes.
Le procès s’est tenu à huis clos. Selon SOTAvision, Marchenko est accusée d’avoir tenté d’incendier le Commissariat militaire régional central entre le 22 et le 24 mars. La femme a été arrêtée alors qu’elle se rendait au bâtiment avec huit cocktails Molotov. Selon l’enquête, elle prévoyait de mettre le feu au commissariat « dans le but de déstabiliser les autorités et d’influencer la décision d’arrêter l’opération militaire spéciale ».
La proposition de mettre le feu serait venue d’une personne se présentant comme un employé du projet ukrainien « Je veux vivre ». Cette même personne avait envoyé à Marchenko des instructions en photo pour préparer le mélange inflammable.
Marchenko est convaincue qu’elle communiquait bien avec un militaire ukrainien et non avec un agent du FSB, car « il savait ce que les services russes ne savent pas ».
Avant d’être poursuivie, Marchenko travaillait comme opératrice d’installations frigorifiques à l’ammoniac dans un élevage industriel avicole du village de Reftinsky, région de Sverdlovsk. Elle a un fils de 20 ans et une fille de 13 ans.
Poursuite pénale pour des graffitis Paix au monde

Début juin, Andreï, 42 ans, originaire de Moscou, avait réalisé au moins huit graffitis Paix au monde sur des ponts et quais de Saint-Pétersbourg : sur les ponts Liteyny et Bolsheokhtinsky, sur le quai de la Fontanka, les quais Voskresensky, Arsenalny, Ushakovsky, ainsi qu’à deux endroits du quai de Vyborg.
Le 7 juin, les agents du Centre « E » [NdlR. Anti-extrémiste] l’ont arrêté dans le cadre d’une enquête pénale pour vandalisme et l’ont emmené à Saint-Pétersbourg. Il est actuellement libre, sous contrôle judiciaire.
Des posts pacifistes considérés comme discrédit à l’encontre de l’armée

Lidia Prudovskaïa, originaire de la ville militaire fermée de Mirny (région d’Arkhangelsk), avait commencé à publier des posts anti-guerre sur Vkontakte après l’invasion russe de l’Ukraine, notamment sur les crimes des militaires russes et le massacre de Boutcha. Elle avait proposé « de supprimer de ses amis » toutes les personnes justifiant la guerre en disant : « Il est inutile d’expliquer à une personne normale que tuer ce n’est pas bien. Gardez votre monde russe pour vous, merci !!! »
Lidia et ses enfants mineurs avaient été convoqués pour des interrogatoires à la police, avaient été condamnés à des amendes, et en 2023, une procédure pénale pour « discrédit à l’encontre de l’armée » avait été ouverte contre elle. Le procureur avait requis une peine de deux ans de détention à domicile. En mars 2024, au début du procès, Lidia Prudovskaïa avait réussi à quitter la Russie avec ses enfants. Elle a été arrêtée par contumace et placée sur la liste des personnes recherchées, les services de protection de l’enfance l’ont déchue par contumace de ses droits parentaux sur son fils adoptif de 12 ans, lui-même également placé sur la liste des personnes recherchées.
Le 8 juin, Lidia Prudovskaïa a été condamnée à une amende de 200 000 roubles (soit 8,9 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.