Chroniques de la Russie qui proteste // 21 – 28 août 2023

Chroniques de la Russie qui proteste // 21 – 28 août 2023

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville parle

Le 24 août Vitaly Yermishine a été battu par un agent de sécurité du centre commercial RIO à Moscou après avoir écrit une citation de Maïakovski à la craie sur le trottoir:

« La guerre est un vent de puanteur de cadavre, la guerre est une usine à mendiants ! » 

D’après son épouse, il a reçu des coups de pied dans l’estomac et des coups de poing à la tête, et lorsqu’elle a essayé de défendre son mari, elle a été frappée à la tête et est tombée par terre. Le couple a appelé la police, mais les forces de l’ordre ont arrêté Vitaly lui-même. Il a été accusé de violence à l’encontre de policiers et assigné à résidence.


Des activistes anonymes d’Ekaterinbourg ont laissé de nombreuses inscriptions et tracts sur les murs, les poteaux et les bancs de la ville, proposant d’envoyer Vladimir Poutine, accusé de crimes de guerre, à La Haye. Cette information a été rapportée par «Vidimyi Protest» (Protestation Visible).

Piquets et manifs

Le 20 août, Teimuraz Kordzaia a été arrêté dans le centre de Moscou lors d’un piquet de grève solitaire avec une pancarte «Liberté pour le peuple russe ! Paix à l’Ukraine !»


Le 21 août, Alexey a été arrêté à Perm pour s’être montré avec une affiche anti-guerre « Je n’ai pas besoin de la guerre ! C’est ça, les mots d’un vrai mec “ devant le monument aux « Héros du front et de l’arrière ». Après sa détention, un procès-verbal a été rédigé à son sujet pour infraction à la loi sur le discrédit de l’armée.


Le 22 août, Alexey Shakhovich a été arrêté à Tcheliabinsk alors qu’il tenait un piquet solitaire avec une affiche « Non à la guerre criminelle ». Un procès-verbal a été rédigé à son sujet pour discrédit de l’armée russe, après quoi il a été relâché.


Ilyas Gamzaev de Makhachkala s’est vu infliger une amende de 15 000 roubles (l’équivalent du SMIC russe) pour avoir tenu un piquet avec l’affiche «Liberté pour Navalny ! Non aux répressions ! Non à la guerre !»

L’homme a été reconnu coupable au titre de l’article sur le discrédit de l’armée russe.  Gamzaev est sorti avec sa pancarte le 20 août, jour du troisième anniversaire de l’empoisonnement d’Alexei Navalny.


«1,5 année de guerre insensée et honteuse» – Oksana Osadchaya a été arrêtée avec ce slogan sur la place du Manège, au centre de Moscou. Elle est complètement aveugle.

Une de ses connaissances, Lyubov Lukashenko, qui photographiait l’action, s’est également faite arrêter.

Elles ont été accusées de discréditer l’armée russe et de participer à une action publique non autorisée. La police a également confisqué à l’une des détenues des badges portant les inscriptions « Liberté pour les prisonniers politiques » et « Non à la guerre ».

Osadchaya a écrit sur sa chaîne Telegram à propos de sa détention : «Le policier a pensé que je ne savais pas ce qui était écrit sur l’affiche. J’ai répondu que je ne pouvais pas ne pas savoir, étant l’auteur du texte. Puis, dans les chuchotements, j’ai entendu l’un d’eux dire à l’autre : « Maintenant, ils envoient des aveugles. » Comme si une personne ne pouvait pas oser parler d’elle-même de ce qui se passe et ne comprenait pas ce qu’elle fait. En Russie, la société est encore loin de comprendre la subjectivité des personnes handicapées, et des personnes tout court.»


Le 24 août, Alexander Mityurev a été arrêté à Moscou alors qu’il déposait des fleurs sur la stèle « Odessa » dans le jardin Alexandrovsky.


« Mort à Poutine », « Non à la guerre », « Gloire à l’Ukraine ! Gloire aux héros » et « Poutine est un criminel » – Roman Muzykin, de la région de Krasnodar, a été arrêté pendant 24 heures pour avoir crié ces phrases.

Le tribunal a considéré qu’il s’agissait d’un « signe de ralliement à l’organisation extrémiste UNA-UNSO, ainsi qu’à l’organisation ukrainienne Secteur droit ».


Le 24 août, le retraité Alexander Pravdin, du village de Siversky, dans la région de Saint-Petersbourg, a tenu un piquet sur le bord de la rivière Oredezh. Il est sorti avec une affiche « 1 an et demi depuis le début du SVO » («Opération Militaire Spéciale» – c’est ainsi que la propagande russe désigne la guerre actuellement en cours), rappelant aux vacanciers que la guerre en Ukraine se poursuit en ce moment même.

Diversions et sabotages

Le 26 août, à Saint-Pétersbourg, Ivan Semenov s’est présenté à un point de recrutement de militaires contractuels dans le quartier Admiralteysky avec deux cocktails Molotov qu’il a allumés et jetés par la fenêtre, après quoi il a été arrêté. Ivan a été envoyé dans un centre de détention provisoire et ses actions ont été qualifiées d’acte terroriste.

Poursuites

Les forces de l’ordre ont saisi la voiture d’une femme opposée à la guerre en Ukraine en raison d’inscriptions « discréditant les forces armées russes ». La voiture a été envoyée à la fourrière et la femme a été placée en détention. Il est fort probable que la femme en question soit Natalia Kuklina, 50 ans, de Petrozavodsk, qui a déjà été poursuivie pour avoir « discrédité » l’armée russe à plusieurs reprises.


Une procédure pénale pour discrédit de l’armée a été engagée contre Batyr Zhaboyev devant le tribunal de Nalchik. Selon la chaîne Telegram ASTRA, l’homme est accusé d’avoir publié une vidéo sur Instagram, qui parlait des meurtres de civils perpétrés par l’armée russe en Tchétchénie et en Ukraine. Selon l’enquête, il a qualifié les actions de l’armée de « fascistes et invasives ».


Dmitry Pakseev, de Pervouralsk, est accusé de discréditer l’armée russe. Il a laissé ce commentaire sous un message concernant la collecte d’aide humanitaire pour l’armée russe dans le groupe « Pervouralsk atypique » sur VKontakte :

« C’est honteux. Nous sommes allés nous battre dans un autre pays il y a un an, nous y avons tué des civils pour rien, et maintenant nous collectons des pelles pour la « défense de la patrie », nous transférons également la collecte des impôts à Toula et nous installons des canons antiaériens à Moscou. Et la poste croule sous les avis de décès. Tout ça pour quoi ? », a écrit Pakseev.


Yelena Abramova, de Saint-Pétersbourg, s‘est vue interdire certaines actions à titre préventif, du fait de discrédit répété de l’armée. Les poursuites à l’encontre d’Abramova ont été engagées en raison de l’action menée le 4 juin, lorsqu’elle s’est rendue à Gostiny Dvor avec une affiche « Liberté pour Navalny ! Liberté pour tous les prisonniers politiques ! Non à la guerre ! »


Yulia Zakharova, de Saint-Pétersbourg, a été condamnée à une amende de 30 000 roubles (l’équivalent de 2 SMIC russe), en raison de son ruban vert portant l’inscription « Non à la guerre ».

Le 4 juin, la jeune fille a été accusée de discréditer l’armée. Elle avait organisé un piquet de grève près de Gostiny Dvor pour soutenir Alexeï Navalny, dont c’était l’anniversaire. La police n’a pas vu l’action, mais a arrêté Zakharova pour un contrôle de routine. À ce moment-là, les forces de l’ordre ont remarqué des rubans verts portant l’inscription « Non à la guerre » sur le sac à dos et le poignet de Zakharova. Elle a alors été arrêtée et emmenée au poste de police, où a été dressé un procès-verbal.


La détention provisoire de l’activiste bachkir Ramila Saitova a été à nouveau prolongée dans l’affaire des appels contre la sécurité de l’Etat. Saitova restera en détention pendant encore deux mois. Elle est accusée d’avoir diffusé une vidéo sur YouTube, dans laquelle elle demandait aux personnes mobilisées de refuser de prendre part aux hostilités, de déclarer qu’elles n’étaient pas prêtes à « tuer » et de déserter.


Le 21 août, Nikolai Borisov a été emmené au poste de police directement depuis le tribunal, cette fois à cause du T-shirt « Je suis contre la guerre » qu’il portait lors de l’audience de son affaire administrative.

De son côté, le tribunal a condamné Borisov à une amende de 30 000 roubles (l’équivalent de 2 SMIC russe) en raison du piquet qu’il a tenu en juillet.


Le père Yohan Koval a été définitivement privé de son ministère dans l’Église orthodoxe russe pour avoir remplacé le mot « victoire » par la « paix » dans sa prière. La dénonciation contre Koval a été écrite par des paroissiens mécontents de ce changement de mots. Depuis février, il avait été suspendu de son ministère. Le 18 août le patriarche Kirill a approuvé la décision du tribunal ecclésiastique concernant la privation de sa mission datant du mois de mai.

Dans le même temps, fin juin, le Saint-Synode de l’Église de Constantinople a considéré qu’il s’agissait d’une décision politique et a rétabli Koval dans ses fonctions, l’admettant dans la juridiction du Patriarcat de Constantinople.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.