Chroniques de la Russie qui proteste // 29 janv – 4 fév 2023
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
Des mémoriaux en hommage aux disparus pendant les tirs sur les villes ukrainiennes
Dans beaucoup de villes de Russie, cela fait déjà plus de deux semaines que l’on continue d’apporter des fleurs et des jouets pour enfant à la mémoire des disparus du Dnipro. La police détruit régulièrement les mémoriaux spontanés mais ils réapparaissent.
Une carte interactive des « protestations fleuries » a été créée. On peut y trouver la ville et la photo du monument où se trouvent les fleurs. Au 5 février, il y en avait 69, dont l'(es) auteur(s) a (ont) souhaité demeurer anonyme(s).
Protestation fleurie : 69 villes
Mémoriaux populaires à la mémoire des Ukrainiens tués par un missile russe à Dniepr le 14 janvier
Choisissez une ville pour voir la liste des lieux. Les liens vers les publications sur Telegram avec images s’ouvriront dans de nouvelles fenêtres.
🔵 monuments en hommage aux Ukrainiens et lieux liés à l’Ukraine
🟣 plusieurs lieux : liés et non liés à l’Ukraine
🔴 autres monuments et lieux
Sources : chaîne Telegram d’Alexandra Arkhipova Anthropologie (pas vraiment) amusante ((Не)занимательная антропология), chaîne Telegram Svodka Material, World Bank Official Boundaries. Données datant du 8 février 2023 à 19h00 (MST)
Quelques photos des mémoriaux de cette semaine prises à Saint-Pétersbourg, Tcheboksary (Tchouvachie), Tomsk, Miass (Oblast de Tcheliabinsk) et autres.
Et à Moscou, monument en hommage à Lessia Oukraïnka.
Photos des compilateurs de cette chronique.
Protestations dans la culture, l’église et les cours de justice
Le 31 janvier, une exposition de l’artiste de 77 ans, Elena Ossipova, a été mise en place dans les bureaux pétersbourgeois de « Iabloko ». L’artiste continue de tenir des piquets solitaires en dépit des poursuites. L’exposition aurait dû rester en place jusqu’au 24 février, cependant elle a été fermée le 1er février suite à une alerte à la bombe ; la police est intervenue et a confisqué tout le travail de l’artiste. Elena Ossipova dessine des affiches politiques depuis 20 ans. Avec chacune d’entre elles, elle est sortie dans le centre de Saint-Pétersbourg. Elle se fait régulièrement arrêter par la police qui lui prend son travail.
Le patriarche de l’Église orthodoxe russe Kirill a interdit au prêtre Yohann Koval de tenir des services religieux. Ce dernier a remplacé le mot « victoire » par le mot « paix » dans une prière spéciale « sur la sainte Russie ». Un décret spécial interdisant le service divin au clerc du temple de l’apôtre saint André dans le district de Lioublino dans l’Oblast de Moscou a été publié dans ce sens sur le site du diocèse de Moscou le 2 février . Yohan a probablement été renvoyé suite à une dénonciation des paroissiens du temple.
Pendant l’audience sur l’affaire de l’étudiant Dimitri Ivanov de l’Université d’État de Moscou accusé de diffuser des infox sur l’armée, l’avocate Maria Eismont a annoncé demander qu’une citation à comparaître en tant que témoin soit délivrée à Sergey Lavrov le ministre de l’intérieur, à Igor Konachenkov le porte-parole du Ministère de la défense et à Vassili Nebenzia le représentant à l’ONU de la Fédération de Russie. Ils devront expliquer ce sur quoi est basée la position du gouvernement sur l’Ukraine. L’avocate considère importants les témoignages des intervenants puisque pour un désaccord avec la version officielle des événements, Ivanov est menacé d’une longue peine de prison. Le juge a décidé de satisfaire la demande de la défense et de délivrer aux individus mentionnés des citations à comparaître.
Piquets solitaires
La police a arrêté Natalya Bouchouïeva à Krasnodar suite à un piquet solitaire avec une affiche « Pour la paix ». L’activiste a été envoyée au commissariat et un procès-verbal a été dressé pour « discrédit de l’armée russe ».
La police a arrêté Andrej Poustovalov à Voronej. Il était sorti face au bâtiment de l’administration de l’oblast avec une affiche « Tout va comme prévu. Nous allons au Paradis » (en 2018, Vladimir Poutine s’était exprimé sur le cas d’une éventuelle guerre nucléaire : « Nous atteindrons le Paradis comme des martyrs et eux crèverons juste »).
L’activiste Victoria Kotchkasova a tenu à Voronej un piquet solitaire en face du théâtre de marionnettes avec une affiche « Non aux chichis » (en russe, cette phrase ressemble au célèbre slogan “ Non à la guerre ”).
Incendies de voitures
Des incendies de voitures avec le symbole « Z » ont été rapportés à Moscou sur la route d’Altoufievski ainsi qu’à Chtchiolkovo, près de Moscou.
Dégâts aux voies ferrées
Un inconnu a tenté de faire diversion sur le chemin de fer dans la banlieue de Moscou le 2 février, mais le conducteur du train électrique l’a aperçu. Les officiers de police sont maintenant à la recherche du malfaiteur. Selon les données des forces de l’ordre, il a tenté d’ouvrir un boitier de relais à côté des voies ferrées aux alentours de la station Stolbovaya de l’Oblast de Moscou.
Trois collégiens ont été arrêtés à Tchekhov, une autre ville de l’Oblast de Moscou, pour incendie criminel d’un boitier de relais. Le Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie suppose que ces élèves de 4ème sont entrés en contact avec des inconnus sur le réseau social Telegram, et que ces derniers leur ont proposé de l’argent pour endommager l’infrastructure de transport. Les actes des collégiens peuvent être classés comme attaque terroriste ou diversion, ce pour quoi ils risquent de 10 ans de prison à la réclusion à perpétuité (l’article s’applique à tout individu qui a atteint l’âge de 14 ans).
Dans la nuit du 31 janvier au 1er février, des partisans anonymes ont fait dysfonctionner le trafic ferroviaire dans le secteur d’Ivanovo à Kostroma.
Autres formes de protestation
Olesya et d’Alekseï Ovtchinikov ont été arrêtés à Krasnodar à cause d’opinions anti-guerres exprimés dans une conversation privée. Le couple était dans un restaurant et parlait de la guerre. Un des clients a entendu leur conversation et a appelé la police. Les policiers qui étaient arrivés au restaurant ont mis le mari et son épouse au sol, les ont menottés et les ont maintenus dans cette position pendant environ une heure, puis les ont amenés en cellule. Ensuite, ils ont été emmenés à la Division des Affaires intérieures du district où ils ont été retenus jusqu’au matin. Alekseï a été placé en détention administrative pendant 15 jours, Olesya a été condamnée à une amende de mille roubles.
Une habitante de Sotchi, Viktoria T., fait l’objet de poursuites en raison de son statut sur le réseau WhatsApp. Elle a activé son statut sur l’application de Message avec le slogan « Vive l’Ukraine ». Elle est inquiétée par les autorités sur la base de l’article sur la « propagande ou la démonstration publique d’attributs ou de symboles nazis ». Viktoria risque 15 jours de détention administrative et une amende de 2000 roubles.
Bonus
Une représentation de cent mètres de long de la « Colombe » de Pablo Picasso est apparue en Carélie sur la glace du lac Onega. C’est le photographe Igor Podgornyï qui a tracé la colombe en compagnie d’autres activistes.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.
