Chroniques de la Russie qui proteste // 30 décembre 2023 – 5 janvier 2024

Chroniques de la Russie qui proteste // 30 décembre 2023 – 5 janvier 2024

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville parle

Des rubans verts continuent d’apparaître dans les rues de Russie, un symbole anti-guerre qui s’est répandu depuis le début de l’invasion à grande échelle.

Manifestations, piquets et actions anti-guerre

Les épouses et les mères de mobilisés ont organisé des manifestations à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Elles ont déposé des fleurs à la flamme éternelle et ont ensuite tenu des piquets solitaires. Elles demandent la démobilisation, ce qui permettrait à leurs proches de rentrer chez eux.


Alexander Pravdin, 73 ans, du village de Siversky dans la région de Leningrad, a tenu un piquet avec une pancarte jaune et bleue « Бомбанутые, вы не за…бались! » (littéralement : Les bombadingues, vous n’en avez pas ras le c…?) Il a également posté des photos d’affiches portant les inscriptions  » Un, deux, trois, *****, va-t-en  » et  » Que font les fous, qui bombardent les villes, les ténèbres « . L’activiste organise régulièrement des piquets avec des affiches anti-guerre et a eu des problèmes avec la police à plusieurs reprises.

Persécutions

Le prêtre Alexei Uminsky a été renvoyé du presbytère et interdit de ministère. Il a dirigé des prières pour la paix, n’a pas caché ses opinions pacifistes et a condamné le soutien de l’Église à la guerre. Le recteur de l’église de la Sainte-Trinité à Khokhlakh, que le père Alexei a dirigée pendant plus de 30 ans, sera désormais le prêtre pro-gouvernemental Andrei Tkachev, qui soutient la guerre.  


Le 25 décembre, Dmitry Shchtyagin, un habitant de Yakutsk, a été condamné à une amende de 15 000 roubles (environ 1 salaire minimum) pour un article visant à discréditer l’armée. Dans le bureau du commissaire militaire, il a déclaré que « la Russie est un agresseur, les forces armées de la Fédération de Russie ont illégalement attaqué l’Ukraine, la Russie est un occupant, les troupes russes détruisent les civils ». Le juge a réduit le montant de l’amende du minimum de 30 000 roubles (environ 2 salaires minimums), en tenant compte, comme le dit l’arrêt, « des circonstances spécifiques de l’affaire, des données sur la personnalité de Shchtyagin D.B., de son jeune âge ». 


Trois habitants de Vladimir ont publié des messages contre la guerre sur leurs pages personnelles. Le 27 novembre, Anton Belyaev, Maxim et Vadim Kantsedaly ont reçu chacun une amende de 30 000 roubles (environ deux salaires minimums) en application des dispositions de la loi sur le discrédit de l’armée pour leurs publications. 


Dans la région de Moscou, un homme a arraché des autocollants Z sur des voitures. En mars 2023, Dmitry Pekhtelev avait déjà été condamné à une amende pour avoir discrédité l’armée. Aujourd’hui, il est poursuivi pour des faits de vandalisme et de dégradation de biens d’autrui et se trouve dans un centre de détention provisoire. 


En novembre 2023, Sergei Miller, un habitant de Pskov, a organisé un piquet solitaire avec une pancarte « Je suis un citoyen de [drapeau russe], Poutine est un meurtrier et je soutiens l’Ukraine ». Le 10 décembre, le tribunal l’a condamné à une amende de 100 000 roubles (6,1 fois le salaire miminum) pour  discrédit de l’armée et la violation des règles relatives à l’organisation d’un événement public. Sergei a également déclaré que le réseau VKontakte avait supprimé ses messages anti-guerre.


Au cours de la discussion sur l’assistance à l’armée russe, un habitant de la région d’Orenbourg a écrit dans le chat parental de l’un des collèges : « Et à propos de la collecte pour les participants de la SVO, nous sommes contre cette opération spéciale avec toute la famille ! Nous sommes pour l’Ukraine. Gloire à l’Ukraine. Gloire aux héros !!! ». En décembre, elle a été condamnée à une amende de 30 000 roubles (environ 2 millions d’euros) pour discrédit de l’armée. Marina Tarabaeva a refusé de reconnaître sa culpabilité, affirmant qu’elle n’avait fait qu’exprimer son opinion personnelle. 


Le chef de la communauté kazakhe de Moscou, Polat Jamalov, a publié sur Facebook une photo d’un document qui aurait été envoyé par la vice-ministre des finances, Irina Okladnikova, au vice-premier ministre, Dmitry Grigorenko. Selon ce document, en août 2022, 48 759 soldats russes sont morts dans la guerre en Ukraine. En septembre 2023, un procès pour faux a été intenté contre lui en raison de cette publication.   


Un enseignant d’un village russe qui a quitté la Russie a parlé de la persécution en Russie. Il a parlé de la guerre à ses élèves, collé des tracts, laissé des graffitis anti-guerre, appelé à rejoindre la légion « Liberté de la Russie » et à « miner la Russie de l’intérieur ». Le domicile de l’enseignant a été perquisitionné, il a été interrogé de manière informelle et suspendu de ses fonctions. Trois affaires pénales sont en cours contre lui. 


Dans le Kraï de Krasnodar, Yuri Spirin, secrétaire du comité de district du parti communiste de Russie, a publié un clip dans Odnoklassniki. On y entend un poème anti-guerre sur fond de vidéo montrant des villes ukrainiennes détruites. L’homme a été condamné à une amende de 40 000 roubles (environ 2,5 salaires minimums) pour discrédit de l’armée.  


Dmitry Paskeev, un habitant de la région de Sverdlovsk, a laissé des commentaires anti-guerre sur VKontakte. Il a été accusé de discréditer l’armée et condamné à une amende de 40 000 roubles (environ 2,5 salaires minimums). Voici un fragment de l’une des déclarations qui lui sont imputées : « C’est une guerre insensée, personne n’en a besoin, on n’en tire rien de bon et elle ne peut apporter aucun résultat. Un grand nombre de jeunes gens sont morts et leurs mères ont reçu des broches en fer à la place de leurs fils, c’est tout »


En plus de lui, Natalia Dmitrieva, de la région d’Astrakhan, qui a écrit que « ce ne sont pas les civils ni même Zelensky qui ont déclenché la guerre » et Pavel Sysoyev ont été poursuivis pour leurs commentaires. Tous deux ont été condamnés à une amende de 30 000 roubles chacun (environ 2 salaires minimum) pour discrédit de l’armée.

Monuments commémoratifs

Le 30 décembre, des fleurs ont été déposées au monument aux victimes de la répression politique à Novossibirsk en mémoire des Ukrainiens tués lors de l’attaque russe du 29 décembre. Des commémorations spontanées sont également apparues dans le jardin du théâtre des Jeunes Spectateurs à Saint-Pétersbourg, sur les monuments à Taras Shevchenko à Omsk et à Lesya Ukrainka à Moscou.

Actes de diversion

Un homme a été arrêté dans la région de Chelyabinsk. Les forces de l’ordre affirment qu’il a tenté de saboter une installation du ministère russe de la défense sur les instructions des services spéciaux ukrainiens. Il est également accusé d’avoir provoqué un incendie criminel sur une voie ferrée au Daghestan.

Autres formes de protestation

Des bénévoles aident les réfugiés ukrainiens qui se sont retrouvés sur le territoire de la Russie. Souvent, cela doit se faire en secret. Un activiste qui a quitté la Russie a parlé de son travail. Pendant qu’il aidait, la police le recherchait.  


À Veliky Novgorod, une guirlande portant le slogan « Gloire à l’Ukraine » est apparue à la fenêtre de l’une des maisons. Un procès-verbal pour discrédit de l’armée a été dressé à l’encontre du propriétaire. Selon lui, la guirlande, contrôlée par WiFi, était censée diffuser des vœux pour le Nouvel An, mais l’inscription a été changée à distance. Plusieurs autres personnes ayant utilisé le même programme pour cet appareil ont écrit la même chose. 


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.