Chroniques de la Russie qui proteste // 30 mars – 6 avril 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Krasnodar (Caucase du Nord)



Le ruban vert : symbole de résistance à la guerre.
Samara (Volga Centrale)



Le ruban vert : symbole de résistance à la guerre.
Monuments commémoratifs
Moscou

Le 6 avril, après une frappe de missile sur Kryvyï Rih ayant causé la mort de 19 personnes, dont 9 enfants, des fleurs et une peluche avec la pancarte « Maudite soit la guerre » ont été déposées au pied du monument à Lesya Ukrainka, à Moscou.
Piquets de protestation solitaire et rassemblements
Des piquets en soutien à la prisonnière politique anti-guerre Maria Ponomarenko se poursuivent à Novossibirsk.

Le 31 mars, à Novossibirsk (Sibérie occidentale), Elena Tardassova-Yun a tenu un piquet de protestation solitaire pour soutenir la journaliste de Barnaoul, Maria Ponomarenko.
Le 27 mars, Maria Ponomarenko, déjà condamnée pour « diffusion de fausses informations sur l’armée russe », a été reconnue coupable d’agression contre des agents du FSIN (service pénitentiaire fédéral) et condamnée à une peine supplémentaire d’un an et dix mois de détention.
On lit sur la pancarte : « Arrêtez l’arbitraire : libérez Maria Ponomarenko »

Le 3 avril, Vasili Semeniouk, un retraité, est de nouveau sorti manifester dans le centre de Novossibirsk avec une pancarte « Arrêtez l’arbitraire : libérez Maria Ponomarenko » et « Ensemble, nous sommes forts ». La veille, Maria avait été à nouveau envoyée en cellule disciplinaire.

Le 4 avril, une autre militante a elle aussi manifesté dans le centre de la ville, seule avec une pancarte « Arrêtez l’arbitraire : libérez Maria Ponomarenko », apportant son soutien à la journaliste emprisonnée.
Autre piquet à Novossibirsk
Un militant de l’endroit a manifesté seul sur la place devant le théâtre de l’opéra muni d’une pancarte : « Maladie, guerre, famine, mort ».
Cette inscription renvoie à l’Apocalypse selon Saint Jean, où la peste, la guerre, la famine et la mort sont les quatre cavaliers de la fin des temps.
Poursuites judiciaires
Six ans de prison ferme pour des commentaires de soutien au Coprs des volontaires russes et à « Azov »

Alekseï Sobolev, de Sosnogorsk (République des Komi), a publié sur plusieurs canaux Telegram des commentaires pro-ukrainiens à propos du Corps des volontaires russes et de la brigade Azov, notamment : « Ce ne sont pas des nazis, ce sont des héros », « Oui, l’Ukraine se défend contre les fascistes russes. Gloire à l’Ukraine, gloire au RDK ». Dans un autre commentaire, il appelait à « Envoyer tous les partisans du mouvement Z dans les chambres à gaz ».
Une enquête a été ouverte à son encontre pour incitation publique à des activités « extrémistes » et « terroristes ». Le parquet a estimé que l’appellation « partisans du mouvement Z » visait les militaires russes.
Après l’arrestation de jeune homme, son père, Denis Sobolev, s’est engagé volontairement dans l’armée russe, espérant ainsi réduire la peine de son fils. Il a été tué à la fin de 2024.
Alekseï a été condamné à 6 ans de prison ferme et 3 ans d’interdiction de gestion de sites web.
Peine de 3 ans supplémentaires de prison pour l’ancien député municipal Alexeï Gorinov


Ancien député municipal, Alexeï Gorinov purgeait déjà une peine de détention dans une colonie pénitentiaire à régime sévère pour « diffusion de fausses informations » sur l’armée russe. Lors d’une conversation avec d’autres détenus à l’hôpital de la colonie pénitentiaire, il avait ainsi commenté l’explosion du pont de Crimée : « Bah oui, ils l’ont fait sauter. C’est la guerre. Parce que la Crimée leur appartient ».
Pour cette phrase, on a ouvert contre lui un nouvelle accusation d’« apologie du terrorisme ». Le 3 avril, le tribunal militaire d’appel de Vlassikha (région de Moscou) a confirmé la condamnation de Gorinov
En février, plus de vingt personnalités politiques des États-Unis, de Grande-Bretagne et d’Allemagne ont proposé Alexeï Gorinov pour le prix Nobel de la paix.
Deux ans de colonie pour avoir comparé le chanteur Shaman à un nazi des Jeunesses hitlériennes

Vladimir Efimov, chef de la branche locale du parti « Iabloko » au Kamtchatka, a publié un message comparant le chanteur et militant du mouvement Z dénommé Shaman au nazi, membre des Jeunesses hitlériennes », du film antifasciste Cabaret de Bob Fosse.
Selon l’instruction, Vladimir Efimov a ainsi « discrédité l’armée russe » et a fait usage de « symboles extrémistes ». C’est la troisième affaire pénale intentée contre lui. Le 4 avril Vladimir Efremov a été condamné à deux ans de colonie pénitentiaire à régime ouvert et à trois ans d’interdiction de publication en ligne et de gestion de sites web.
Une photo de Poutine avec un ruban de Saint-Georges lui sortant de la bouche et des yeux considérée comme une « réhabilitation du nazisme »

Egor Beloglazov, un habitant d’Ekaterinbourg (Oural Central), avait, entre autres, publié sur le réseau social VKontakte [N.d.R. : version russophone du Facebook] une photo de Vladimir Poutine avec un ruban de Saint-Georges lui sortant des yeux et de la bouche. On a, pour ce motif, ouvert contre lui une enquête criminelle pour « réhabilitation du nazisme ». Une autre accusation pour « offense aux croyants » lui est reprochée, sans plus de détails sur le fondement de cette accusation. Il a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de sortie du territoire.
Source de la photo : réseaux sociaux d’Egor Beloglazov
Quatre ans de prison pour des commentaires anti-russes

Andreï Rigouts, ancien informaticien de la Poste russe, avait publié sur Telegram et YouTube des commentaires appelant à la violence contre des militaires russes, et à des frappes contre la Russie. Andrei a été accusé d’« appels publics à des activités terroristes et extrémistes ». Le 3 avril, le tribunal militaire du 2e district de l’Est a condamné Andrei Riguts à 4 ans de de détention en colonie pénitentiaire à régime général et à 3 ans d’interdiction de publication, d’administration de sites web, de forums, de groupes et de chats sur Internet.
Affaire pénale pour le commentaire : « Vous tuez des enfants et des civils dans un pays voisin »
Le 31 mars, on a appris les détails de l’affaire instruite à l’encontre de Radmila Riabtseva (de Vouktyl, République des Komis).
Le parquet lui reproche d’avoir ainsi commenté un post du groupe Nouvelles de Vouktyl publié sur le réseau social VK : « Vous tuez des enfants et des civils dans un pays voisin et vous vous prenez pour des sauveurs. Vous n’êtes que des nettoyeurs. Vous allez devoir vivre toute votre vie avec cela. Et peu importe que vous les tuiez avec vos armements sur le terrain ou par vos paroles depuis votre canapé ». Il s’agissait d’une réponse à un autre usager participant à la guerre en Ukraine.
Radmila aurait également déclaré, selon le parquet, que les soldats russes « croient tellement à la propagande présentant tout à l’envers et écervelant les gens, qu’on a l’impression d’être en présence de membres d’une secte, où de victimes d’une secte diabolique ».
Lors d’une perquisition à son domicile, son téléphone et sa tablette ont été saisis. Le tribunal lui a interdit l’usage de tout moyen de communication électronique, dont internet.
La parabole biblique des porcs possédés par des démons a « discrédité » l’armée russe

Le prêtre Grigori Mikhnov-Vaitenko avait enregistré le 11 mars 2022 une vidéo où il exprimait ce qu’il pensait de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie et donnait sa propre interprétation de la parabole biblique du troupeau de porcs investis par des démons. Grigori disait qu’on ne doit pas tuer les gens en fonction de leur « appartenance géographique », comme le fait l’armée russe. Le 1er avril, il a été condamné à une amende de 30 000 roubles (soit l’équivalent de 1,3 fois le salaire minimum).
Amende pour une banderole « Ukraine, pardon ! »
Denis Fomenkov avait suspendu sur un bâtiment désaffecté une banderole bleue et jaune portant l’inscription « Ukraine, pardon ! ». Il a été condamné à une amende de 50 000 roubles (soit l’équivalent de 2,1 fois le salaire minimum) pour « discrédit à l’encontre de l’armée russe ».
Poursuites judiciaires pour les mots « Gloire à l’Ukraine »

Oleg Mamporia, un homme de 60 ans, avait écrit « Gloire à l’Ukraine » dans un chat de la chaîne Telegram Vremia Charikovih. À la suite de ces propos, une affaire pénale a été ouverte contre lui pour « propagande ou démonstration de symboles interdits ». Il a été placé en résidence surveillée. Le tribunal estime que « cette phrase constitue le salut officiel de l’organisation ukrainienne, Légion Liberté de Russie, classée comme organisation terroriste et dont les activités sont interdites sur le territoire de la Fédération de Russie. »
Refus de combattre
Il rêvait de piloter un hélicoptère ; il s’est retrouvé dans le hachoir à viande
Le projet « Allez au diable », qui aide tous ceux qui combattent en Ukraine à quitter le pays, a publié l’histoire d’un nouveau déserteur. Le jeune homme rêvait d’intégrer une école de pilotage ; le bureau de recrutement l’a trompé en lui disant que c’était possible uniquement après participation à l’opération militaire spéciale en Ukraine. Il s’est ainsi retrouvé dans une brigade d’assaut, a été blessé à la jambe, et a pu quitter le pays.
Culture
La pièce J’ai tué le tsar du metteur en scène Vladimir Mirzoev, annulée à cause de sa position anti-guerre

Vladimir Mirzoïev, metteur en scène ayant signé une lettre ouverte dénonçant l’invasion de l’Ukraine comme une « honte », a été attaqué par l’équipe de propagande OuralLive de Vladimir Soloviev. Les militants ont publié un message sur leur chaîne Telegram qualifiant Mirzoev de « metteur en scène anti-russe » et critiquant sa mise en scène de la pièce J’ai tué le tsar pour sa « couverture controversée » des événements décrits dans la pièce originale d’Oleg Bogaev sur l’histoire de l’exécution de la famille impériale en 1918. Le Centre Eltsine a été accusé de « s’amuser aux dépens du sang versé ». Le Centre Eltsine a annulé le spectacle sans explication.
Faits divers
Une chanson « Debout, Koursk ! », générée par IA, classée comme « extrémiste »
Le 2 avril, le ministère de la Justice a ajouté à la liste des contenus « extrémistes » une chanson intitulée Debout, Koursk !, générée par l’IA Suno. La chanson contient les paroles suivantes :
Debout, Koursk ! Debout, ma Patrie.
Debout, Koursk ! Chassons ensemble les Russes.
Debout, Koursk ! L’Ukraine, notre mère, est avec toi.
Qui plus est, le refrain chante : « Tu deviendras le nouveau Bakhmout ».
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.