Le lauréat du prix Nobel Ales Bialiatski et ses collègues du Centre des droits humains Viasna sont jugés à Minsk
Depuis deux semaines, le tribunal du district Leninski de Minsk examine le « dossier Viasna » qui vise le prix Nobel de la paix 2022 Ales Bialiatski (prix qu’il partage avec Memorial et le Centre pour les libertés civiques en Ukraine) ainsi que deux de ses collègues, Uladzimir Labkovitch et Valiantsin Stefanovitch.
Photo de salle de procès, Janvier 2023
À l’heure actuelle, six défenseurs des droits humains du centre Viasna («Printemps» en bélarusse) sont en prison, mais plus de 170 de ses membres ont été longuement interrogés et une centaine ont vu leur domicile perquisitionné.
Ales Bialiatski est un proche collaborateur de Memorial, il travaille depuis de nombreuses années à entretenir la mémoire des répressions en Biélorussie soviétique et à défendre les droits de ses citoyens après l’indépendance du Belarus en 1991.
Dans un message vidéo que Ales a enregistré spécialement pour Mémorial-France peu avant son arrestation, il évoque l’actualité brûlante du Belarus et la manière dont celle-ci entre en écho avec l’histoire, et en particulier avec l’histoire des répressions staliniennes, qui est au cœur du combat de Mémorial.
Ce n’est pas un hasard si Ales a reçu le prix Nobel de la paix 2022 conjointement avec Memorial en Russie et le Centre pour les libertés civiles en Ukraine. Les trois organisations travaillent en étroite collaboration depuis de nombreuses années. Elles étaient également liées par de forts liens de solidarité : Ales Bialiatski a assisté en tant qu’observateur au procès d’Oleg Orlov à Moscou (2011) et s’est rendu à celui d’Oyub Titiev à Grozny (2019). Lorsque Ales a été arrêté pour la première fois en 2011 (il a alors passé trois ans en détention), Oleg Orlov était aussi dans la salle d’audience à Minsk.
Au début de ce nouveau procès, Ekaterina Yanshina, militante des droits humains et journaliste, qui collabore avec Memorial s’est rendue au Belarus en tant qu’observatrice indépendante pour assister aux premières audiences de l’affaire «Viasna», ainsi que, cette fois encore, Oleg Orlov, actuellement co-Président du bureau de Centre des défense des droits humains Memorial.
Le 5 janvier 2023 Ekaterina Yanshina a été interpellée aussitôt après la fin de l’audience. Le 6 janvier, le tribunal a déclaré Ekaterina Yanshina (présente « à distance » sur Skype) coupable de trouble à l’ordre public et l’a condamnée à 15 jours d’arrêt administratif, avec tout ce que cela implique au Belarus : conditions de détention assimilées à une forme de torture par la communauté internationale, interdiction des visites et, plus généralement, de tout contact, y compris téléphonique, avec les proches comme avec un avocat et interdiction de transmettre des effets personnels.
Le procès des dirigeants du centre Viasna se déroule avec des mesures de sécurité exceptionnelles. Une unité de police est positionnée devant le tribunal. À l’intérieur du Palais de justice, les visiteurs du tribunal sont accueillis par une autre unité de police, qui leur demande où ils se rendent. Si la personne dit venir assister à l’audience de Viasna, officiellement qualifiée d’« affaire de contrebande et de financement des protestations », ses données personnelles sont consignées sur un formulaire spécifique. À l’entrée de la salle où se déroule le procès de l’affaire Viasna : un détecteur de métaux et un policier en uniforme. Pendant que les visiteurs, ainsi que leurs affaires, sont dûment contrôlés, un policier filme l’ensemble du processus(!). Non seulement les visiteurs, mais aussi les avocats des accusés subissent cette procédure humiliante avant chaque audience, le matin et l’après-midi. Si c’est la première fois qu’une personne se présente au procès, le secrétaire lui demande quels sont ses liens avec les accusés. Ce n’est qu’après que le secrétaire du tribunal laisse les personnes présentes entrer dans la salle d’audience avec leur passeport … avant de les inscrire sur une autre liste. Si une personne s’est présentée au tribunal le matin et y revient l’après-midi, le secrétaire coche le nom de cette personne..Les diplomates étrangers, venus le premier jour du procès, n’ont pas été admis dans la salle.
Dans la salle d’audience, trois gardes surveillent la cage avec les prévenus, et un quatrième garde se tient près de la porte, verrouillée pendant toute la durée des débats. Les prévenus sont menottés en permanence, même dans leur cage fermée à clé et surveillée par des gardes. Les menottes limitent considérablement les mouvements des défenseurs des droits humains lorsqu’ils tiennent en main un cahier contenant des éléments du dossier ou tentent de noter les arguments de l’accusation. Pour prendre des notes, Ales Bialiatski n’a qu’une recharge d’un stylo bic. Les mains des détenus portent visiblement les marques de menottes trop serrées.
Photos : mains d’ Ales Bialiatski. Janvier 2023
Des agents en civil sont également présents dans la salle d’audience, ce sont les mêmes qui mènent la procédure de « contrôle » des spectateurs et des avocats à l’entrée, et visiblement à l’intérieur.
Pendant les deux semaines du procès, les urgences médicales ont été appelées à deux reprises. En ce qui concerne le prévenu Uladzimir Labkovitch, malade, les médecins ont conclu qu’il était en mesure d’assister aux audiences. Ales Bialiatski, quant à lui, a de la fièvre et après un an et demi passé dans les cellules en sous-sol de la tristement célèbre prison Volodarka, les trois accusés ont l’air très pâles et fatigués.
La « qualité » des preuves de l’accusation
Au cœur de l’affaire : l’aide – y compris l’assistance d’ avocats et de juristes – aux accusés dans des affaires à caractère politique engagées contre le centre Viasna au cours des dernières années, ainsi que le financement de ses activités.
Comment trouver un fondement juridique permettant de condamner ces activités de défense des droits humains ? L’incrimination pénale initiale au titre de l’article 243, al. 2 du Code pénal (fraude fiscale) a été finalement abandonnée bien que c’est précisément pour ce délit que le plupart des témoins ont été interrogés. Ales Bialiatski, Uladzimir Labkovich, et Valiantsin Stefanovich sont désormais accusés de « contrebande » (Article 228, al. 4 du Code pénal) et de «financement d’actions de groupe ayant perturbé l’ordre public» (Article 342, al.2 du Code pénal).
Les trois accusés risquent désormais de 7 à 12 ans de prison.
Les accusations sont basées sur des documents confisqués sous forme de reçus, de relevés bancaires concernant les mouvements de fonds dans des pays tiers, des contrats de travail, des demandes de financement de projets, des témoignages et des extraits de correspondance. La source de ces documents n’est pas claire et les avocats ont attiré l’attention sur le fait qu’un certain nombre de documents n’avaient pas fait l’objet d’une traduction dans la langue de la procédure pénale (certains documents sont en lituanien).
Ales Bialiatski assure activement sa propre défense. Le président de Viasna a souligné qu’un grand nombre de contrats lituaniens confisqués ne comportaient pas de signature, et que du point de vue légal, ces documents sont donc nuls et non avenus. Il a également attiré l’attention sur le fait qu’un certain nombre de documents appartenaient à une période pour laquelle les prévenus ne sont pas poursuivis pour financement d’actions de groupe portant une grave atteinte à l’ordre public. Il a aussi rappelé que l’argent dépensé par les défenseurs des droits humains pour des voyages en Ukraine ne pouvait servir de base à des accusations de trouble à l’ordre public.
Les deux autres accusés participent aussi à leur défense. Tous les trois récusent les charges retenues contre eux.
Un spécialiste du comité des douanes a déclaré à la cour qu’entre 2011 et 2021, deux millions de dollars auraient été introduits en Biélorussie pour servir les intérêts du CDH Viasna.
L’importation de grandes quantités d’argent liquide sans déclaration n’a été criminalisée au Bélarus qu’en 2016, c’est pourquoi le montant qui apparaît dans le dossier pénal ne dépasse pas 250 000 euros. On ne sait pas d’où viennent ces chiffres et comment le ministère public va pouvoir les confirmer.
La quasi-totalité des témoignages examinés par le Tribunal proviennent de personnes absentes à l’audience. En effet, un grand nombre de personnes interrogées il y a plus d’un an se trouvent maintenant à l’étranger. Par ailleurs, reconnaît le tribunal, « il est coûteux de payer les déplacements depuis d’autres villes ». Ce sont donc des « témoignages écrits » reçus pendant l’enquête qui ont été lus à haute voix, sans qu’il n’y ait personne pour confirmer ou contester le contenu de ces documents. Les accusés et leurs avocats n’ont pas pu les interroger ou poser leurs questions aux témoins comme la procédure le stipule. Dans certains de ces témoignages, il apparaît que les personnes interrogées ont dû regarder au préalable les vidéos illégalement filmées dans les bureaux de Viasna, et de «s’y reconnaitre».
En outre, le juge a pris connaissance des procès-verbaux des interrogatoires de deux témoins dont les noms n’ont pas été divulgués pour des raisons de sécurité. Ces déclarations n’ont pas non plus été lues à haute voix, également « pour des raisons de sécurité » engageant des témoins secrets qui ne peuvent donc être interrogés par la défense.
Valiantsin Stefanovitch a compris qui était l’une d’entre eux, à partir du contexte de l’accusation, et a déclaré à la Cour que cette même personne, qui se présentait auparavant comme une défenseur des droits humains, était présente dans la salle du procès en tant que « journaliste » pour l’un des journaux d’État. Il a demandé à ce qu’elle quitte la salle comme l’un des témoins de l’affaire entendue devrait le faire dans le respect des procédures. Le juge a refusé, au prétexte que ce n’était qu’une « hypothèse ».
6 membres de Viasna sont actuellement en prison.
Parmi eux sont actuellement jugés le président de l’association Ales Bialiatski (60 ans), le vice-président Valiantsin Stefanovich (50 ans), l’avocat Uladzimir Labkovich (44 ans). Tous trois ont été arrêtés le 14 juillet 2021.
Leanid Sudalenka (57 ans), arrêté en janvier 2021, a été déjà condamné à 3 ans de prison, qu’il purge dans la colonie pénitentiaire de la région de Viciebsk. Tatsiana Lasitsa, une bénévole de Viasna, arrêtée avec Leanid Sudalenka a elle été libérée de la colonie de Gomel le 24 septembre 2022 à la suite d’une demande de grâce qui lui a été accordée.
Andrei Chapiuk (27 ans, arrêté en octobre 2020) a été condamné à 6 ans de prison, Marfa Rabkova (28 ans, arrêtée en septembre 2020) à 15 ans de prison; ils sont incarcérés dans le prison de Volodarskogo à Minsk en attente des décisions en appel.
La dernière déclaration de Marfa avant le verdict la condamnant à 15 ans de colonie pénitentiaire, avec travaux forcés, peut être consultée ici: https://spring96.org/en/news/109005
Le discours de l’épouse d’Ales Bialiatski qui a reçu le prix Nobel pour lui à Oslo, avec les citations de celui-ci peut être consulté ici .
Toutes les informations sur l’affaire Viasna et les adresses des prison et des colonies pénitentiaires pour leur envoyer des lettres du soutien se trouvent sur le site dédié: https://freeviasna.org/en
Mémorial France exprime sa solidarité avec les membres de Viasna et exige leur libération immédiate ainsi que l’abandon de toutes les charges à leur encontre de même que la libération des 1444 prisonniers politiques du Belarus !