Voix de guerre #14, Irina Oliinyk : Mon mari et mon fils ont été blessés lors d’une attaque aérienne russe

Voix de guerre #14, Irina Oliinyk : Mon mari et mon fils ont été blessés lors d’une attaque aérienne russe

Irina Oliinyk ne croyait pas à une guerre à grande échelle et n’a pas eu le temps d’évacuer Borodyanka. Le 1er mars, le village a été bombardé par l’aviation russe. Le mari d’Irina et son fils de deux ans ont été blessés et leur appartement a été détruit. Mais Irina veut vivre à Borodyanka et espère pouvoir travailler et gagner de l’argent pour un nouveau logement.

Je m’appelle Irina Oliinyk, j’ai 49 ans. Je vis dans le village de Borodyanka, dans la région de Kyiv. Avant la guerre, j’étais en congé de maternité, mon enfant a deux ans et demie.


COMMENT AVEZ-VOUS VÉCU LE PREMIER JOUR DE L’INVASION À GRANDE ÉCHELLE DE L’UKRAINE PAR LA FÉDÉRATION DE RUSSIE ?

Je ne l’ai pas su tout de suite. Je n’avais pas allumé la télévision parce que je m’occupais de mon enfant et je n’avais pas vu les informations. Et puis un peu plus tard, ma mère m’a dit que la guerre avait commencé. Mais je n’imaginais pas que c’était une guerre à grande échelle : je ne sais pas pourquoi, mais je n’avais pas peur. Au troisième jour de la guerre, lorsque les tanks russes sont entrés dans Borodyanka, je n’ai pas eu peur non plus, bien que je les aie vus depuis mon balcon. Mais je ne savais pas encore ce qu’était la vraie peur, la peur pour son enfant. C’est le 1er mars que la véritable horreur a commencé.

QUE S’EST-IL PASSÉ LE 1er MARS ?

La nuit précédente, des tanks russes avaient circulé toute la nuit. On ne savait plus où se mettre. Ils roulaient et tiraient délibérément sur les immeubles, en visant les fenêtres. J’ai demandé à une amie, qui vit à l’autre bout de Borodyanka, de nous héberger. Mais nous n’avons pas osé quitter l’immeuble sous les bombardements. Nous avions peur. Je pensais que peut-être que le matin, il y aurait moins de bombardements et que nous pourrions partir. Mais non : ils ont continué à nous bombarder. Pendant la journée du 1er mars, alors que j’étais sortie avec mon fils, il y avait des hélicoptères et des avions qui volaient. De nombreux immeubles près de chez nous avaient déjà été bombardés. Un de nos amis nous a proposé de nous installer chez lui, mais nous avons refusé.

Le soir, nous sommes montés dans notre appartement, nous avons mangé, et j’ai couché Egor. Dans la soirée, nous sommes montés à l’appartement, nous avons mangé et nous avons couché Egor. À 18 heures, nous sommes descendus à la cave, et nous y sommes restés en attendant que les tanks passent, puis le silence s’est installé. Pas d’avions, pas de tanks. Ma mère est allée préparer à manger. Vingt ou trente minutes plus tard, il y a eu une forte explosion, puis une autre, et encore une autre. Mon fils et mon mari ont été grièvement blessés. Un homme de la Défense territoriale est arrivé en courant et nous a emmenés à l’hôpital. Je me souviens qu’à 22 heures, un médecin nous a examinés.

QUELLES BLESSURES ONT REÇU VOTRE MARI ET VOTRE ENFANT ?

 Mon fils a eu un traumatisme crânien, je l’ai retrouvé inconscient, et il a perdu plusieurs fois connaissance sur le chemin de l’hôpital… Pendant les trois mois qui ont suivi, alors qu’on avait été évacués, il vomissait constamment. La simple vue de la nourriture le dégoûtait. Mais dès nous sommes revenus à Borodyanka, Egor a retrouvé l’appétit. Mon mari a eu quatre côtes cassées et les poumons perforés.

COMMENT ONT-ILS ÉTÉ BLESSÉS ?

Nous venions tout juste de sortir de la cave et nous étions dans le hall de l’immeuble quand l’explosion a retenti. Ceux qui étaient dans la cave n’ont pas été blessés. Nous en étions sortis, parce que je pensais qu’il n’y aurait plus de bombardements. Si nous avions passé la porte, nous ne serions plus en vie. Deux, trois pas de plus, et c’était fini… Il paraît qu’il y a eu dix morts dans l’immeuble d’à côté : quand je suis sortie, j’ai bien vu que la moitié de l’immeuble voisin avait disparu, mais ce n’est que plus tard que j’ai appris qu’il y avait eu des morts.

Immeuble détruit à Borodyanka

COMMENT AVEZ-VOUS PU VOUS RENDRE À L’HÔPITAL APRÈS QUE VOTRE FILS ET VOTRE FILS ONT ÉTÉ BLESSÉS ?

À pied, en passant par les cours d’immeubles. Nous avons reçu des soins médicaux à l’hôpital, nous avons passé la nuit là-bas, au sous-sol. Le 2 mars, l’évacuation a commencé, nous étions presque les derniers à évacuer.

COMMENT AVEZ-VOUS QUITTÉ LA VILLE ?

Le matin, nous sommes sortis du sous-sol de l’hôpital, il y avait des autobus à l’extérieur. Nous n’avions aucune affaire, juste ce que nous avions sur nous en quittant notre immeuble. Le chauffeur du minibus nous a dit de monter rapidement, parce qu’il n’y aurait plus de possibilité d’évacuation dès le soir même. Nous avons d’abord été emmenés au village de Zagaltsy, dans le district de Borodyanka. Là, des gens nous ont nourris et donné des vêtements, car ceux de mon fils étaient tout déchirés. Puis on nous a emmenés dans le village de Piskivka, dans le district de Boutcha, où nous sommes restés deux jours, en dormant dans une école. Et enfin, nous sommes allés à Horodnytsia, dans la région de Jytomyr.

COMMENT VONT VOTRE MARI ET VOTRE FILS AUJOURD’HUI ?

Mon mari ressent une douleur dans la poitrine lorsqu’il respire profondément. Et j’ai emmené mon fils chez un neurologue, j’ai vu des spécialistes. Ils ont dit que pour l’instant il fallait observer, et consulter un médecin en cas de nausées.

AVANT MÊME LE 24 FÉVRIER, PENSIEZ-VOUS QU’IL POURRAIT Y AVOIR UNE GUERRE ?

Non ! Si je l’avais vue venir, je serais partie le 24. Il y a des gens qui ont vu venir la guerre, et ils ont évacué dès le premier jour. Malheureusement, je n’ai pas eu cette prémonition.

ET POURQUOI N’AVEZ-VOUS PAS ÉVACUÉ DÈS LE DÉBUT DE L’INVASION À GRANDE ÉCHELLE ?

Nous avions peur. J’avais lu sur internet que les Russes tiraient sur les voitures. Nous ne savions pas où aller, où ils se trouvaient, et des avions volaient en permanence. C’était effrayant. Je ne sortais pas de l’immeuble, j’avais même peur de sortir dans Borodyanka.

AVEZ-VOUS CONNAISSANCE DE CRIMES COMMIS PAR L’ARMÉE RUSSE À L’ENCONTRE DE CIVILS ?

Lorsque nous vivions à Horodnytsia, j’ai entendu dire que des crimes terribles avaient été commis à Borodyanka… Les Russes avaient violé des filles, les avaient suspendues et leur avaient tiré dessus. Mais quand je suis revenue ici, personne ne m’a parlé ça.

DANS QUEL ÉTAT SONT VOS BIENS ?

Tous nos meubles ont été détruits. Tout est cassé. Seule la machine à laver, qui était dans la salle de bain, a survécu, mais nous ne savons pas si elle fonctionne. On doit tout racheter. Avant, mon mari et moi allions en Pologne pour travailler et gagner de l’argent, nous avons investi tant d’argent dans l’appartement, et tout cela pour rien….

Irina Oliinyk, habitante de Borodyanka, devant son immeuble détruit

OÙ VIVEZ-VOUS ACTUELLEMENT ?

À Borodyanka, dans un préfabriqué. Il y a de l’eau chaude, quelques équipements dans la cuisine : huit plaques de cuisson pour 22 chambres. Notre chambre est petite, 6m sur 2, des lits superposés. Avec un enfant, je suis très à l’étroit. C’est très difficile, on ne se sent pas chez soi. Quand je passe devant notre maison, j’ai envie de pleurer. Je veux rentrer chez moi !

RECEVEZ-VOUS AUJOURD’HUI UNE AIDE DE L’ÉTAT ?

En ce qui concerne le logement, on nous a dit de faire une demande et d’attendre. Peut-être qu’ils fourniront des appartements dans de nouveaux immeubles de la région de Kyiv. Mais je veux vivre ici, à Borodyanka, ou au moins à la même distance de Kiev. Lorsque la guerre sera terminée, je veux quitter l’Ukraine. Au moins pour un temps, afin de gagner de l’argent pour un logement. Je ne veux pas que mon enfant grandisse sans abri. C’était une grossesse tardive, et voilà le destin de cet enfant…

VOS SENTIMENTS À L’ÉGARD DES RUSSES ONT-ILS CHANGÉ ?

Oui! De manière négative. J’ai de la famille en Russie : aujourd’hui, nous ne nous parlons plus. Ils ne se soucient même pas de savoir comment on va. Ce sont pourtant des parents proches, pas éloignés… Je n’ai même plus envie de regarder leurs films. Et les dessins animés que j’avais l’habitude de mettre à mon fils, je ne veux plus les voir.

QUE COMPTEZ-VOUS FAIRE ENSUITE ?

Je ne sais pas. J’attends la victoire !

Irina Oliinyk, Borodyanka

Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

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