Voix de guerre #5 : Pourquoi lancer huit roquettes sur une école maternelle ?

Voix de guerre #5 : Pourquoi lancer huit roquettes sur une école maternelle ?

Liubov Maksymchuk

Propos recueillis par Denis Volokha en octobre 2022

Maksim, le fils de Liubov et Vasyl Maksymchuk est mort alors qu’il participait à l’installation d’un abri anti-bombes dans une école maternelle. En raison des bombardements incessants, ils n’ont pu l’enterrer que trois jours plus tard. Les deux fils mineurs de Maksim sont restés orphelins. Liubov Maksymchuk nous raconte les événements du 25 février à Okhtyrka exactement huit mois plus tard, en retenant à peine ses larmes. cette usine et au politicien local Oleg Toporkov, qui a été contraint de vivre sous occupation et de se cacher des Russes pendant des mois.


Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

Pour en savoir plus sur le projet Voix de guerre, rendez-vous ici


Le 25 février, Okhtyrka, [petite ville de 45 000 habitants située à 300 km de Kviv dans l’oblast de Soumy – NdT] a été bombardée. La cible principale, c’était l’unité militaire du district de Dachny. Les Russes ont également bombardé une école maternelle près de laquelle il y avait des civils. Aujourd’hui cela fait huit mois que notre fils a été tué là-bas. Pourquoi ? Nous vivions tranquillement, notre fils allait au travail. Maintenant ses fils sont orphelins. Il n’y a pas de mots pour décrire le chagrin que les Russes nous ont causé.

Que s’est-il passé ? Comment votre fils est-il mort exactement ?

Ils ont bombardé le camp militaire et la zone environnante. Ils ont probablement lâché huit missiles exprès sur l’école maternelle. Peut-être avaient-ils eu des renseignements. Je ne sais pas. Je comprends pour le camp : il y avait des militaires là-bas. Mais la maternelle, c’était des civils ! Des enfants s’y cachaient. Mon fils a été appelé pour aider à déplacer des chaises de l’école à l’abri anti-bombes, pour que les enfants puissent s’asseoir. Et ils ont tout bombardé. Les avions volaient autour de la ville, notre maison a aussi été bombardée.

Votre fils a-t-il été blessé quand il descendait les chaises ?

Non. Ils portaient des bancs pour les enfants, un missile est tombé, il a été blessé. Un shrapnel a touché son artère fémorale. Mon fils Maxim et Natasha, la gardienne qui installait l’abri anti-bombes, sont morts immédiatement sur place, et deux autres personnes sont mortes plus tard à l’hôpital. Il y a aussi eu des blessés, des hommes qui portaient des bancs dans l’abri antiaérien. Ils ont été blessés, mais ceux qui étaient sur le bord ont été tués. Voilà.

Vous êtes ensuite allés à l’hôpital pour chercher votre fils ?

Nous ne pouvions pas y aller à cause des bombardements.

Avez-vous pu finalement vous y rendre ?

Non, mon fils cadet y est allé à ses risques et périls. Il a couru jusqu’à l’école, mais Maxim avait déjà été emmené en ambulance à l’hôpital. Il a retrouvé son frère à la morgue. Le même jour, deux heures plus tard. Les bombardements ne se sont pas arrêtés : ils tiraient, vingt minutes de repos, puis tiraient à nouveau. C’est pourquoi nous n’avons pas pu aller le chercher à la morgue tout de suite et ne l’avons enterré que le troisième jour.

Quelle était la situation à la morgue ? Y avait-il beaucoup de monde ?

Il y avait beaucoup de monde à la morgue, surtout de l’unité militaire. Un père a amené le corps de son fils sans sa tête. Il ne l’a identifié que par son tatouage. Il y avait beaucoup de militaires : abattus, brûlés, brûlés. Ils ont dit qu’ils prendraient l’ADN pour les identifier. Mais je vous l’ai dit, c’était des soldats. Et les civils ? Pourquoi ont-ils tiré des roquettes sur l’école maternelle ?

« On n’a pu identifier notre fils que par son tatouage. »

A quelle distance se trouvait la crèche de l’unité militaire ?

Environ cinq cents mètres du camp militaire.

Et les missiles ont continué à tomber dans ce quartier pendant une semaine ?

Oui, nous ne sommes pas sortis de la cave. Tous les jours, il y avait des bombardements, des avions survolaient la zone. C’était insupportable.

Le micro-quartier  « Dachny » à Okhtyrka. © Denis Volokha [Okhtirka].

Mais ils ont détruit le camp militaire, je suppose, dès le premier jour ?

Non, ils l’ont bombardé pendant trois jours ! Il n’y avait plus un brin de vie, ils ont tout détruit. C’était un beau camp militaire, il était grand, et ils ont tout bombardé. Les militaires ont été ensevelis sous les dalles de béton. Nos enfants. Ce sont tous nos enfants, qu’ils aient 20 ou 40 ans.

Quel âge avait votre fils ?

Quarante et un ans. Il travaillait chez Okhtyrkaneftegaz comme assistant foreur. Au début, il a travaillé comme cuisinier, puis comme assistant foreur. L’attitude à son égard était très bonne. Pour nous, Il était en l’or. Toutes les mères devraient avoir un fils comme le nôtre. On n’arrive pas à croire qu’il soit parti.

« Nous avions un fils en or. On ne peut pas croire qu’il ne soit plus là.« 

Avait-il des enfants ?

Il avait un fils de 14 ans de son premier mariage, Arthur. Et le petit Yuri a huit ans. Le fils de son premier mariage est parti en Allemagne avec sa mère. Son fils nous appelle et dit : « Papa ». Et son grand-père répond : « Papa est parti ». « Papa est parti ? On jouait à cache-cache dans les bois hier encore. » « Il est mort. » Les enfants sont devenus orphelins.

Et votre maison, comment vous y vivez maintenant ?

On y vit, on la répare, on a remis des fenêtres. Tout ça avec notre propre argent. On n’a pas le choix. L’hiver arrive. Il fait froid.

Bâtiment du musée à Okhtyrka. © Denis Volokha

Que pensez-vous des Russes maintenant ? Comment vous expliquez ça ?

Et bien quoi ? J’ai des parents en Russie, mais nous ne communiquons pas. Ils disent que c’est nous qui bombardons. J’ai une sœur à Briansk, elle est pour nous, pour l’Ukraine. A Saint-Pétersbourg, mon camarade de classe du village, on habitait en face, on est allé à l’école ensemble. Il m’a dit :  » Alors, il y a beaucoup de petites veuves ? ». Mon mari a répondu : « C’est tout, on ne leur parle plus. » Bien sûr, il y a beaucoup de veuves ici. Natasha, notre belle-fille, est veuve. Que va-t-elle faire maintenant, avec son fils ? Elle ne peut pas aller travailler, parce qu’elle doit amener l’enfant à l’école et faire tout le reste. De quoi vont-ils vivre ?

Comment est la vie à Okhtyrka maintenant ? Est-ce que c’est relativement calme ?

Relativement calme, mais les sirènes hurlent. Les magasins et tout le reste ferment quand les sirènes se mettent à hurler. Mais à part ça, ça va, je suppose. Mais il y a beaucoup d’explosions alentour. À Velika Pisarevka à la frontière, par exemple, on peut les entendre. Nous sommes très inquiets et nerveux.


ENTRETIEN VIDEO (SOUS-TITRÉ EN FRANÇAIS)


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