Chronique de la Russie qui proteste // 03 – 09 mars 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Novomoskovsk (Région de Toula)

Le “ruban vert” est un symbole de résistance à la guerre
Sabotages et dégradations
À Toula, des résistants ont incendié les voitures des employés d’une entreprise militaire

À Toula (dans le district fédéral central), des résistants ont incendié les voitures des employés de l’ONG « SPLAV », une entreprise militaire fabriquant des systèmes de lance-roquettes multiples. Cette information a été rapportée par la chaîne Telegram « Résistance de la Légion ».
« Si tu travailles pour l’industrie militaire, si tu produis des armes, tu es aussi notre cible. Et ces voitures en flammes sont un rappel que nous sommes tout proches », ont déclaré les résistants.
Piquets de protestation solitaire et manifestations
À Novossibirsk, un piquet en soutien aux femmes prisonnières politiques

Le 8 mars, Vassili Soukhov, un habitant de Novossibirsk, a tenu un piquet de protestation solitaire en soutien aux femmes prisonnières politiques. Par son action, il a voulu rappeler au public l’existence de Maria Ponomarenko, condamnée pour l’affaire des «fausses informations» sur les forces armées russes, ainsi que celles de Svetlana Petritchouk, Ievguenia Berkovitch, Antonina Favorskaïa, et d’autres.
« Je leur souhaite tout ce qu’il y a de mieux, ainsi qu’une libération rapide. Que cette catégorie honteuse – celle des femmes prisonnières politiques – disparaisse de notre pays. »
Poursuites
À Saint-Pétersbourg, arrestation de l’auteur du graffiti « Je ne veux pas m’habituer à la guerre »

Alexandre Arseniev, moscovite de 38 ans, a été arrêté pour des inscriptions anti-guerre – « Je ne veux pas m’habituer à la guerre » – qu’il a laissées les 12 et 24 février 2025, près de la Gazprom Arena et sur la place Koniouchennaïa à Saint-Pétersbourg.
Il est poursuivi pour vandalisme motivé par la haine politique et pour « discrédit » à l’encontre de l’armée. Le tribunal du district de Petrograd l’a placé en détention jusqu’au 25 avril, affirmant que « le détenu a avoué avoir commis les faits évoqués plus haut par intérêt personnel ».
Un prêtre accusé de “discrédit ” à l’encontre de l’armée

Un procès verbal pour “discrédit” à l’encontre de l’armée a été dressé contre Grigoriy Mikhnov-Vaitenko, prêtre et défenseur des droits de l’homme. L’affaire a été transmise au tribunal du district de Nevski, le 5 mars, mais la date de l’audience n’a pas été fixée.
Grigoriy Mikhnov-Vaitenko est le primat de l’Église orthodoxe apostolique et un militant des droits humains. Il est également le fils du poète Alexandre Galitch. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, il a prodigué son aide aux réfugiés ukrainiens.
Détention en colonie pénitentiaire pour des étiquettes de prix anti-guerre

En 2022, Vladimir Zavialov avait remplacé les étiquettes de prix dans un magasin “Karousel” à Smolensk par des étiquettes portant des messages anti-guerre tels que, entre autres : « La Russie utilise des crématoriums mobiles » ou « L’armée russe a bombardé une école d’art à Marioupol ».
Après avoir été dénoncé par une retraitée, une procédure criminelle a été engagée contre lui pour « diffusion de fausses informations » sur l’armée. Le parquet a requis une peine de six ans de prison. Zavialov s’est soustrait à son assignation à résidence et a quitté la Russie.
Le 4 mars, le tribunal du district de Zadnieprovsky l’a condamné à cinq ans de détention en colonie pénitentiaire.
Un habitant de la région de Krasnodar risque sept ans de colonie pénitentiaire pour ses commentaires sur la guerre en Ukraine

Gennadi Vladimirov, originaire de Primorsko-Akhtarsk (région de Krasnodar), a été accusé d’extrémisme, d’incitation au terrorisme et d’activités portant atteinte à la sécurité de l’État, en raison de ses commentaires sur les réseaux sociaux où il protestait contre la guerre. Il a également été accusé d’avoir « discrédité » l’armée à plusieurs reprises, après avoir publié des messages sur des attaques contre des civils et des images représentant la lettre Z dans une flaque de sang.
Le procureur a requis une peine de sept ans de détention en colonie pénitentiaire.
Une ancienne députée municipale condamnée à huit ans de colonie pénitentiaire par contumace pour un post sur Boutcha et Irpin

L’ancienne députée municipale Elena Filina a été accusée de diffusion de « fausses informations » sur l’armée pour avoir écrit sur Facebook, en avril 2022, que les événements de Boutcha et Irpin constituaient des crimes commis par des soldats russes. Le procureur avait initialement requis 8 ans et demi de détention en colonie pénitentiaire. La défense avait contesté les poursuites, arguant qu’elles reposaient sur des suppositions, aucun représentant du ministère de la Défense ou militaire n’ayant été interrogé.
Le 6 mars, le tribunal du district de Kountsevo à Moscou a déclaré Elena Filina coupable et l’a condamnée à huit ans de détention en colonie pénitentiaire à régime général, ainsi qu’à une interdiction de gérer des ressources en ligne pendant quatre ans. Le verdict a été prononcé par contumace, Filina se trouvant à l’étranger.
Un ex-député de la région de Leningrad, opposé à la guerre, sur la liste des personnes recherchées

Anton Klimov, ancien député municipal de la ville de Vyritsa (région de Leningrad), a été placé sur la liste des personnes recherchées en raison de ses critiques contre la guerre en Ukraine et les actions de l’armée russe. On ignore encore quelles charges exactes sont retenues contre lui. Le 7 mars, le ministère de la Justice l’a inscrit au registre des « agents de l’étranger » pour avoir « diffusé des informations donnant une image négative » de l’armée russe.
Après le début de la guerre en Ukraine, Anton Klimov avait proposé à ses collègues députés de faire une déclaration contre la guerre, ce qui avait conduit à des poursuites à son encontre. Étant devenu la cible de dénonciations de la part d’autres députés, Klimov a ensuite quitté la Russie.
Une militante de 17 ans, en détention provisoire pour avoir exprimé de la compassion envers les victimes ukrainiennes de la guerre
Une adolescente d’Arkhangelsk a été arrêtée après avoir posté plusieurs messages de soutien à l’Ukraine dans des discussions en ligne. Les agents du FSB l’ont placée en détention provisoire, l’accusant de « justification du terrorisme » et d’« appels à des actions menaçant la sécurité de l’État ».
Selon les forces de l’ordre, la jeune fille s’était « réjouie d’un attentat sur le territoire russe » et voulait que « les Russes ressentent la même chose que ce que les Ukrainiens éprouvent ».
Le FSB affirme qu’au cours de son interrogatoire, la détenue a reconnu avoir « envisagé » de mener un acte de sabotage et pris contact avec la partie ukrainienne à cette fin.
Un habitant de la région d’Irkoutsk condamné à une amende pour des commentaires pro-ukrainiens

En 2023, Nikita Alekseïenko, originaire de la région d’Irkoutsk, avait publié plusieurs commentaires sur le canal Telegram de Denis Kapoustine, fondateur du Corps des volontaires russes (RDC) [NdR. Le RDC est une organisation clandestine russe combattant aux côtés de l’armée ukrainienne]. Parmi ses messages figuraient : « Nous vous attendons à Irkoutsk », « Dans quelle région de Russie les combattants du RDC devraient-ils entrer en premier ? », « Nous prions pour vous ! La Russie sera libre ! La Sibérie attend ses libérateurs ! » et « C’est juste. La patrie est seule et il faut la sauver des tchékistes de Poutine ».
Le 5 mars, le 2e tribunal militaire du district oriental de Tchita a reconnu Nikita Alekseïenko coupable de « justification publique du terrorisme » et l’a condamné à une amende de 350.000 roubles (l’équivalent de 15,6 fois le salaire minimum).
Une femme de 70 ans condamnée à deux ans de prison avec sursis pour des publications anti-guerre
Larissa Pimova, une habitante de Saint-Pétersbourg âgée de 70 ans, a été accusée de diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe en raison de plusieurs publications critiquant la guerre en Ukraine, postées entre mars 2022 et juillet 2023.
Le 6 mars, le tribunal du district de Vassileostrovsky à Saint-Pétersbourg l’a reconnue coupable et lui a infligé une peine de deux ans de prison avec sursis.
Divers
Un agent d’entretien condamné pour « discrédit à l’encontre de l’armée » pour avoir peint des bancs aux couleurs du drapeau ukrainien

Le 3 mars, à Chouïa (région d’Ivanovo), on a appris qu’un tribunal avait reconnu coupable de “discrédit à l’encontre de l’armée” l’agent d’entretien Ivan Ivlev qui avait peint en bleu et jaune, couleurs du drapeau ukrainien, des bancs, des parterres de fleurs, des bordures, des auvents et des supports verticaux.
Lors de son procès, Ivlev a déclaré qu’il s’était contenté de rafraîchir la peinture sans savoir à quoi ressemblait le drapeau ukrainien.
Un mois plus tard, la cour régionale a annulé sa condamnation en appel, estimant qu’il fallait prouver qu’il avait intentionnellement choisi ces couleurs pour exprimer un message politique.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.