​​Chroniques de la Russie qui proteste // 16 – 30 juillet 2023

​​Chroniques de la Russie qui proteste // 16 – 30 juillet 2023

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville parle

Graffitis anti-guerre dans les villes de Russie.

Non à la guerre !


Tag « Non à la guerre » sur un plan de métro de Moscou.


« Une guerre inutile ! »


Le réalisateur et journaliste Roman Super a posté sur sa page Telegram la photo d’un poème anti-guerre posé sur le stand d’information d’un des hôpitaux de Saint-Pétersbourg.

Non à la guerre

Certains disent : « Je veux retourner dans mon enfance ».
Croyez-moi, ce n’est vraiment pas le cas :
Il y avait la guerre, le blocus, la famine,
Je veux la paix et l’amour
Je ne veux pas que nos enfants meurent,
Je veux que la guerre se termine
et que toutes les armes se taisent sur la planète,
Je veux que mon pays bien-aimé s’épanouisse.
Je veux que les gens vivent en paix
Je souhaite qu’il n’y ait ni frontières ni langues
Je veux que les gens parlent la même langue
Je veux que les gens se comprennent sans mots.
Dites-moi, est-il impossible
Que le monde soit silencieux,
Que l’on entende la voix des oiseaux
Et que le printemps ne finisse jamais ?

Galina Avdeeva 2022

Poursuites

La chaîne 7×7 Russie horizontale informe que l’Université de Novgorod n’a pas renouvelé son contrat à Pavel Kolosnitsyne, enseignant d’histoire, au prétexte que celui-ci avait écopé d’une amende pour un post anti-guerre.


Dans la région d’Arkhangelsk, une fillette de 9 ans et un garçon de 10 ans ont été soumis à un interrogatoire à propos de leur mère Lidia Proudovskaia, accusée de discréditer les forces armées russes. Lidia Proudovskaia a déjà été condamnée pour avoir posté des commentaires anti-guerre sur le réseau social VKontakte.


Vladimir Zolotarev (de Khabarovsk) a été condamné à 18 ans de colonie pénitentiaire dans l’affaire de l’incendie de l’immeuble de la Rosgvardia. Le tribunal a établi que Zolotarev avait, en juin 2022, versé de l’essence devant l’entrée du bâtiment et y avait mis feu. Zolotarev a expliqué au tribunal qu’il voulait ainsi montrer aux gens qu’ils n’étaient pas seuls à être contre l’invasion de l’Ukraine. Avant ces faits, Zolotarev était assigné à résidence pour avoir porté des coups à un policier. 


Valentina Permakova, rédactrice en chef du média ouralien Revda-Info, a écopé d’une amende après avoir été dénoncée par des lecteurs à propos d’un post sur les bombardements des villes ukrainiennes. Ce journal indépendant existe depuis trente ans à Revda. Il ne cache pas son orientation anti-guerre. Valentina Permakova a affirmé que les autorités lui ont proposé à de nombreuses reprises de quitter le pays, ce qu’elle a refusé de faire.


Le sociologue Boris Kagarlitski, rédacteur en chef du site « Rabkor » a été arrêté et incarcéré. Le prétexte – son commentaire à propos de l’explosion qui s’est produite, en octobre 2022, sur le pont de Crimée. La défense du sociologue affirme que Kagarlitski n’a jamais soutenu ou justifié des actes terroristes. Dans ses commentaires, il voulait juste pointer un certain nombre de problèmes concernant le gouvernement russe. Kagarlitski critique régulièrement la politique des autorités à propos de la guerre contre l’Ukraine.


La police a accusé Ekaterina Kartacheva, de Vladimir, de discréditer les forces armées russes pour avoir écrit « Non à la guerre ! » sur la porte d’un centre bénévole d’aide aux combattants russes en Ukraine, à Alexandrov. D’après Kartacheva, les policiers l’ont menacée de faire intervenir des hommes du groupe Wagner si elle refusait de donner les informations qu’ils lui demandaient.


Nikolai Goutsenovitch, retraité de Penza, a été reconnu coupable de récidive de discrédit des forces armées russes. Cette information a été publiée par OVD-Info, qui se réfère à l’avocat Stanislav Fomenko. Le prétexte à l’origine des poursuites du retraité – les 18 réactions de celui-ci sur le réseau social « Odnoklassniki ». Goutsenovitch avait répondu à des posts; ce qui a eu pour conséquences que ceux-ci s’affichent sur sa page. Il réagissait aux posts anti-guerre de 7×7 : « Cela me fait de la peine », « Ça m’étonne ».


Une enquête pour « appels publics en faveur du terrorisme et de l’extrémisme » a été ouverte contre un retraité de Novossibirsk. D’après le retraité, il est poursuivi pour avoir posté des commentaires acerbes contre « l’Opération militaire spéciale » et la mobilisation. « Ma fille vit à Kiev. Quand on a commencé à bombarder la ville, j’ai littéralement perdu la raison et je me suis mis à écrire des commentaires anti-guerre sur les réseaux sociaux. Ma fille a dû passer la nuit dans un abri, vous vous rendez compte ? » Cette affaire va être jugée le 2 août par le tribunal militaire de Novossibirsk.


Elena Poliakova a été condamnée à verser une amende de 30 000 roubles par un tribunal de Moscou. Elle avait été interpellée le 14 juin sur la place Pouchkine avec une pancarte « Non à la guerre ! » Poliakova a été inculpée de « discrédit des forces armées russes ».


La police a interpellé, en faisant usage de la violence, un homme de 40 ans de la région de Volgograd pour « fausses informations sur les forces armées russes ». L’individu a été interpellé alors qu’il sortait de son domicile. Il a été cloué au sol et menotté. Cette interpellation fait suite à des commentaires anti-guerre postés sur les réseaux sociaux. Le service de presse du FSB a précisé que cet homme critiquait en général la politique menée par la Russie et participait « à plusieurs forums et groupes  sur internet. »


Deux ans et demi de privation de liberté ont été requis à l’encontre de Dimitri Skourikhine, chef d’entreprise de la région de Leningrad. Skourikhine est poursuivi pour deux affaires : des affiches anti-guerre sur la façade de son magasin ; sa sortie avec une pancarte « Pardon, Ukraine ».


Iana Kholodova, de Moscou, a été inculpée à deux reprises pour « discrédit des forces armées russes ». Dans l’une des affaires, elles a été condamnée à verser une amende de 50 000 roubles pour « diffusion de  fausses informations » sur son compte Instagram.


Sergueï Drougov, blogueur et auteur du site « La guerre, c’est… » a été condamné à deux ans de travaux forcés pour avoir reposté une publication « La résistance féministe anti-guerre ». En outre, il s’est vu interdire toute activité d’administration sur les réseaux sociaux pour une durée de trois ans. Cette interdiction avait été demandée par le procureur.


Alexis Volskii, de Nijni-Novgorod, a été inculpé pour « diffusion de fakes sur les forces armées russes » à la suite d’un post publié sur le réseau social VKontakte.Il a été assigné à résidence. Volskii a notamment écrit : « Désolation et mort de nombreux civils. Les responsables sont les occupants russes et le gouvernement russe dans son ensemble. Ils commettent des crimes inimaginables ».


Dimitri Permakov, ex-député de la Douma de Pskov, a été inculpé et soumis à une amende pour « discrédit des forces armées russes » pour avoir posté un certain nombre de commentaires sur son compte Facebook. Cette information date du début du mois de juillet. Parmi les passages incriminés : « Plus la guerre se prolonge, plus il devient difficile aux propagandistes russes de mentir. L’information sur les massacres en Ukraine se diffuse partout eu profondeur parmi notre peuple » . Parmi les autres passages retenus comme « discréditant les forces armées russes » figure une information sur les dons à la Croix-Rouge ukrainienne. 


Ekaterina Maslovskaia, de Pskov, a été condamnée à verser une amende de 30 000 roubles. Elle avait posté sur le site VKontakte des photographies d’actions anti-guerre : une photo de gens portant des pancartes « Non au nazisme », « On m’a tué parce que j’étais Ukrainien », « Les soldats de Poutine bombardent l’Ukraine avec ton silence approbateur ».


Alexandre Somriakov, de Krasnodar, a été condamné à six ans de colonie pénitentiaire en vertu de l’article du Code pénal « sur les fausses informations concernant les forces armées russes ». Le prétexte à cette condamnation – ses publications à propos des attaques menées par les troupes russes sur une maternité et le théâtre à Marioupol, ainsi que des massacres de masse de la population civile, notamment dans la petite ville de Boutcha où 260 civils ont été tués.


L’activiste Rousilia Bicheva, de Saratov, a été inculpée après avoir adressé une lettre au ministre de l’Instruction publique de la région de Saratov. Il lui est reproché de récidiver dans le discrédit des forces armées russes. Dans sa lettre, des habitants de la région de Saratov demandent notamment la suppression, dans les écoles, des « Discussions à propos de choses importantes ». Les principaux terroristes, peut-on y lire, ce ne sont ni les enfants ni les parents mais ceux qui soutiennent la politique du parti « Russie Unie » et la guerre contre l’Ukraine. Cette guerre est menée contre les Ukrainiens, contre les civils pacifiques de la magnifique Ukraine ».

Piquets anti-guerre

Le 20 juillet a été arrêté à Moscou, place Pouchkine, Pavel Prokhorov, qui s’était posté avec une pancarte « Crimée, Donetsk, Lougansk, Kherson, Zaporojie – c’est l’Ukraine. Non à la guerre ! Non au poutinisme ! »


« Je suis contre la guerre ! » Nikolai Borissov, de Voronej, a écopé d’une amende de 15 000 roubles pour être sorti dans la rue le 7 juillet avec cette inscription. Il a été inculpé en vertu de l’article du Code pénal sur le discrédit des forces armées russes.Le juge a pris en compte le fait que Borissov avait des enfants et a abaissé le montant de l’amende en-dessous du seuil prévu par la loi.Sur la pancarte, Borissov avait écrit : « Cette guerre, c’est nous qui la payons. Je suis contre la guerre ! Et vous, qu’avez-vous à en faire de cette guerre ? ».


« L’affiche « POUTINE EST TEUBÉ » est adressée à V.V. Poutine ». Accusé dans une affaire anti-guerre, Andrei Trofimov a été condamné à une amende parce qu’il a montré, alors qu’il était dans  l' »aquarium » (le boxe des accusés) à l’audience du tribunal. Cette information a été communiquée à OVD-Info par un proche de l’accusé. Selon le procès-verbal dressé à l’encontre de Trofimov, il a montré lors des audiences des feuilles A4 portant les inscriptions « NO WAR » et « POUTINE EST TEUBÉ » et prévoyait de montrer à l’audience des affiches portant les inscriptions « Gloire à l’Ukraine » et « Liberté pour Navalny ». 


Le 27 juillet, à Koursk, la police a interpellé Ivan Chouroupov, qui s’était posté avec une affiche « Paix à l’Ukraine ! Liberté à la Russie ! Je suis contre la guerre ». Il a été interpellé, puis relâché sans être inculpé. 


Le 25 juillet à Ijevsk, Fiodor Miasnikov a été interpellé avec une affiche « Non à la guerre ! ».

Refus de combattre

Un tribunal de Maïkop a condamné un artilleur pour refus d’exécuter un ordre de mobilisation (article 332 alinéa 22.1. du Code pénal). En mars 2023, le militaire a refusé d’obéir à l’ordre du commandant qui l’envoyait en Ukraine. D’après l’enquêteur, ce contractuel a refusé de partir sur le front en Ukraine de « façon démonstrative ». Ce qui, selon l’accusation, a porté atteinte à l’autorité du commandant. 

Protestations en ligne

Anna Tchagine, altiste et professeur de musique à Tomsk, a écopé d’une amende de 200 000 roubles pour ses propos anti-guerre sur les réseaux sociaux. Elle est accusée de « récidive de discrédit des forces armées russes ». Le prétexte à cette amende – quelques commentaires et posts sur sa page « VKontakte ».


Andrei Drainukov-Elinger, de Moscou, a été inculpé de discrédit des forces armées russes à cause d’un post et d’une photo représentant un pacifiste. Il a appris cette nouvelle au poste de police où il a été convoqué. On lui reproche notamment ces lignes  « Troisième mois de l’agression fasciste contre notre peuple frère ukrainien. Le soutien à cette agression ne progresse pas, mais on ne voit guère de protestations actives. Les Orcs continuent leur existence dans le pays de Mordor ».


Serguei Bakanov, de Riazan, a écopé d’une amende de 45 000 roubles pour « discrédit des forces armées russes ». D’après le tribunal, Serguei Bakanov aurait publié sur sa page « VKontakte » les propos suivants : « On m’accuse de plus en plus souvent d’être contre l’armée, et donc contre mon pays. Le problème, c’est que la Russie n’a pas d’armée, c’est celle de Poutine. Et c’est cette armée de Poutine qui bombarde les infrastructures civiles d’un autre pays. Je n’éprouve aucune pitié pour les tueurs, parce qu’ils portent l’uniforme avec la svastika ». 


Ekaterina Mikrioukova, de Moscou, a réagi, le 24 juillet, dans un tchat de l’immeuble à une demande postée sur les réseaux sociaux appelant à participer à une cagnotte pour permettre à un militaire blessé en Ukraine de bénéficier d’une aide à domicile. Elle a écrit que le militaire en question aurait pu ne pas aller combattre et rester en bonne santé. Mikrioukova a aussitôt été exclue du tchat et des saisies d’écran de ses propos ont été postées sur des sites pro-Poutine. Elle a aussi fait l’objet de menaces anonymes. Mikrioukova a démissionné de son poste au laboratoire Hemotest et a quitté la Russie.

Diversion et sabotage

Un écolier de 16 ans a été inculpé d’apologie du terrorisme en raison de ses posts sur les réseaux sociaux appelant à incendier les commissariats militaires. Les forces de sécurité affirment que le jeune homme a créé, en janvier dernier, un site sur lequel il « faisait l’éloge des saboteurs et appelait d’autres lycéens à mettre le feu aux commissariats militaires ». Il a fait l’objet d’une interpellation, avant d’être relâché avec interdiction de quitter le territoire de la Fédération de Russie. 


L’informaticien Pavel Magalias, de la région de Volgograd, a été accusé d’avoir mis le feu à la mairie de sa ville et a été condamné à deux ans et demi de colonie pénitentiaire. Selon l’enquête, Magalias, mécontent de la guerre et de la mobilisation, a jeté deux cocktails Molotov contre le bâtiment de la mairie de Kamychine. Il a été arrêté en septembre 2022 et est, depuis, en détention. 


L’instituteur Boris Gontcharenko et son ami Bogdan Abdourakhmanov sont accusés, devant le Tribunal Militaire du Sud, d’avoir, dans la nuit du 6 octobre 2022, lancé quatre cocktails Molotov contre la porte du Commissariat militaire de Goriatchii Kluj.


Evgueni Burago a été placé en détention dans l’affaire de l’incendie de la porte du centre de recrutement militaire de Berdsk ; il est inculpé en vertu de l’article du code pénal relatif aux dommages causés à la propriété d’autrui. La porte du bureau de recrutement militaire a été incendiée il y a deux jours : la surface incendiée était d’un demi-mètre carré. Il n’a pas été nécessaire d’éteindre le feu, il s’est éteint en quelques minutes.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.