Chroniques de la Russie qui proteste // 17 – 23 mars 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Saint-Pétersbourg (District fédéral du Nord-Ouest)

Le ruban vert est un symbole de la protestation contre la guerre
Kazan et Samara (District fédéral de la Volga)



Le ruban vert est un symbole de la protestation contre la guerre
Smolensk (District fédéral central)

Le ruban vert est un symbole de la protestation contre la guerre
Piquets et manifestations
« Nous avons besoin de la paix ! » – Piquet solitaire de protestation contre la guerre devant le siège du gouvernement de la région d’Irkoutsk

Pavel Kharitonenko, membre du parti « Iabloko » d’Irkoutsk (District fédéral de Sibérie), a mené un piquet de protestation solitaire, muni d’une pancarte portant l’inscription « Nous avons besoin de la paix ». Son action s’est déroulée devant le siège du gouvernement de la région d’Irkoutsk.
« Les gens, pour la plupart, observaient du coin de l’œil, comme s’ils avaient peur en lisant ce qui était écrit de se voir involontairement impliqués dans la protestation. Certains s’efforçaient de l’ignorer et détournaient le regard. Seul un homme en costume a exprimé son soutien en disant : « C’est juste » », a raconté Pavel sur sa chaîne Telegram.
Peu après le début de l’action, la police est arrivée, a photographié le manifestant, lui a demandé ses papiers et a transmis par téléphone à quelqu’un les renseignements figurant sur ceux-ci . Il n’y a pas eu d’arrestation.
Une manifestante âgée de Saint-Pétersbourg battue par un inconnu

À Saint-Pétersbourg, une retraitée a mené un piquet de protestation solitaire, munie d’un drapeau rouge et d’une pancarte rédigée en vers, critiquant Vladimir Poutine. Parmi les inscriptions figuraient notamment : « Poutine fait des affaires en se moquant du peuple », « pitoyable Opération Militaire Spéciale » et « la victoire soviétique est bradée ».
Son action n’a pas duré longtemps : un passant lui a arraché sa pancarte et s’en est servi pour la frapper au visage. Des témoins ont tenté d’interpeller l’agresseur, mais celui-ci a projeté du gaz lacrymogène dans leur direction et pris la fuite.
À Novossibirsk, piquets de protestation solitaires exigeant la libération de Maria Ponomarenko, prisonnière politique anti-guerre
Cinq habitants de Novossibirsk (District fédéral de Sibérie) ont mené une série de piquets de protestation solitaire en soutien à la journaliste et prisonnière politique anti-guerre Maria Ponomarenko.
Les militants tenaient des pancartes avec des slogans tels que : « Stop à l’arbitraire ! Liberté pour Maria Ponomarenko ! ».
La semaine dernière, on a appris que Maria Ponomarenko était au bord du suicide en raison de la maltraitance permanente infligée par l’administration de la colonie pénitentiaire. Les piquets à Novossibirsk ont été menés en réponse à ces informations.
Maria Ponomarenko est emprisonnée depuis plusieurs années pour son opposition à la guerre. Elle a été condamnée à six ans de détention après avoir publié un message sur les réseaux sociaux, concernant le bombardement du théâtre d’art dramatique de Marioupol par l’armée russe.
Sabotages et déprédations
Incendie de la tour de communication de l’usine Lutch à Saint-Pétersbourg

À Saint-Pétersbourg, des résistants ont attaqué la tour de communication de l’usine de réparation de matériel radio-électronique Lutch. La vidéo de l’action a été publiée par la chaîne Telegram « Résistance de la Légion », qui se dit liée à la légion « Liberté de la Russie » [NdlR. Mouvement paramilitaire russe combattant aux côtés de l’armée ukrainienne].
Les organisateurs de l’attaque ont appelé les employés du complexe militaro-industriel à leur transmettre des informations permettant d’accélérer la libération de la Russie du régime instauré par le gouvernement actuel.
L’usine « Lutch » est spécialisée dans la production et la réparation de systèmes radar, radio-électroniques et de navigation, ainsi que dans l’élaboration et la maintenance d’équipements pour l’aviation militaire et civile. Elle joue un rôle clé dans l’industrie de défense du pays.
Destruction de l’armoire d’un transformateur dans la région de Smolensk (District fédéral central).

Le mouvement de résistance « ATEŠ » a revendiqué un acte de sabotage sur une ligne ferroviaire dans la région de Smolensk : des résistants ont incendié l’armoire d’un transformateur, perturbant ainsi le transport de l’approvisionnement militaire en direction des régions de Briansk et de Koursk.
La vidéo du sabotage a été publiée sur la chaîne Telegram d’« ATEŠ ».
Bris de la vitre d’une voiture affichant un autocollant Z
Dans la capitale, des militants du mouvement de résistance « Force Civique » ont brisé à coups de marteau la vitre d’un véhicule affichant un autocollant Z [NdlR. Z est la lettre inscrite sur les véhicules de l’armée russe opérant en Ukraine]. La vidéo de l’action a été publiée sur la chaîne Telegram d’« ATEŠ ».
« Nous avertissons que cela arrivera à tous ceux qui sont ouvertement malades du rašisme [NdlR. Mot combinant Russie et fascisme] et qui soutiennent les crimes de guerre. Il ne vous reste que peu de temps pour retirer vos autocollants et cacher toute autre symbolique dont vous aurez honte ! », ont déclaré les militants.
Poursuites
Des adolescents ayant incendié une tour de communication, condamnés à 6 ans et 6 ans et demi de colonie pénitentiaire.

En septembre 2024, dans la région de Transbaïkalie (District fédéral de Sibérie), deux adolescents se sont introduits sur le site clôturé de la station d’un opérateur mobile, ont forcé une armoire contenant du matériel technique, l’ont aspergée d’un liquide inflammable et y ont mis le feu. Ils ont été arrêtés par les agents du FSB.
La semaine dernière, le tribunal a rendu son verdict : les adolescents ont été condamnés à 6 ans et 6 ans et demi de privation de liberté, à purger dans une colonie de rééducation.
« Ici c’est moi qui accuse ! » 16 ans de détention pour le dissident Alexandre Skobov

Alexandre Skobov, dissident soviétique, publiciste et enseignant, a été condamné à 16 ans de privation de liberté pour participation à une organisation terroriste en raison de ses posts sur l’explosion du pont de Crimée et de sa participation au « Forum de la Russie libre ».
Lors de sa dernière déclaration au tribunal, Skobov, âgé de 67 ans, a vivement condamné les autorités russes et s’est exprimé contre la guerre en Ukraine : « Aujourd’hui, on va me demander si je me reconnais coupable. Eh bien, c’est moi qui accuse ici ! J’accuse la clique de Poutine, qui règne en exhalant l’odeur des cadavres, d’avoir préparé, déclenché et mené une guerre d’agression. Je l’accuse de crimes de guerre en Ukraine, de terreur politique en Russie et de la dépravation de mon peuple. »
Un militant de Kaliningrad accusé de diffusion de « fausses informations sur l’armée ».

Oleg Savvin, un habitant de Kaliningrad (District fédéral du Nord-Ouest), a été arrêté pour avoir reposté en 2022 des publications sur Facebook. Il est accusé de diffuser des « fausses informations sur l’armée ».
« Les militaires russes ne commettent pas seulement des crimes contre l’humanité, mais aussi des crimes contre la planète Terre et toute forme de vie qui la peuple actuellement… » peut-on lire dans le post rediffusé.
Une retraitée de Kourgan poursuivie pour 24 000 commentaires anti-guerre.
Une habitante de Kourgan, âgée de 64 ans (District fédéral de l’Oural), est accusée d’incitation publique au terrorisme et d’apologie du terrorisme. Son arrestation a été motivée par les 24 000 commentaires contre la guerre qu’elle avait postés sur les réseaux sociaux et les messageries.
Selon la chaîne Telegram « Communiqués opérationnels », la retraitée soutenait des mouvements interdits en Russie, tels que le “Corps des volontaires russes”, la Légion “Liberté de la Russie” et “Artpodgotovka”.
Elle est actuellement placée sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter son lieu de résidence.
Une peine avec sursis commuée en peine de prison, après appel.
Ioulia Semionova (Beloslioudtseva), une habitante de Tchita (District fédéral de l’Extrême-Orient) âgée de 52 ans, avait partagé sur sa page VKontakte l’image
d’une croix gammée « mélangée à des symboles de la monarchie russe », ainsi qu’une vidéo contre la guerre. Elle avait initialement été condamnée à deux ans et demi de
prison avec sursis. Cependant, la Cour d’appel a récemment conclu que « la personnalité de la condamnée et les circonstances de l’affaire indiquent qu’il n’y a pas de raison de prononcer une peine avec sursis », et a décidé de commuer la peine avec sursis en peine effective.
Refus de combattre
Un Moscovite a déserté et quitté la Russie ; il appelle désormais les soldats russes à suivre son exemple.

Ilya Zaripov, un Moscovite de 23 ans, avait signé sous l’influence de la propagande, un contrat avec le ministère de la Défense, durant l’été de 2024. Il avait été affecté à un poste d’état-major. Il a réussi à déserter grâce à l’organisation « Idite Lesom », qui vient en aide aux déserteurs, aux objecteurs de conscience et aux personnes cherchant à échapper à la conscription.
« Chaque jour, je voyais des dizaines de cadavres. Il faut fuir à la première occasion, le plus vite possible », a-t-il déclaré dans une interview à la chaîne de télévision « Dojd ».
Un déserteur d’une unité d’assaut contracte un prêt auprès de la Sberbank et quitte la Russie.
Valentin Mikhailiouk, 20 ans, diplômé en droit, avait signé un contrat avec le ministère de la Défense avant même l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Après le 24 février 2022, il a compris qu’il ne voulait pas prendre part à la guerre et a tenté de démissionner. Ses commandants ont falsifié sa signature sur un document de prolongation de contrat et l’ont envoyé dans une unité d’assaut.
Valentin a alors décidé de déserter : il a fait du stop pour s’enfuir de la garnison et a pris place à bord d’un vol pour Moscou. Une fois sur place, il a changé de carte SIM et contracté un prêt de 300.000 roubles à la Sberbank. Grâce à l’aide du projet « Idite Lesom », il a réussi à quitter la Russie.
Autre
Un prêtre arrêté pour 14 jours à cause d’une photo vieille de 11 ans, où il figure avec un drapeau ukrainien.

Nikolai Savtchenko, un prêtre de Saint-Pétersbourg, membre de l’Église orthodoxe russe, a été arrêté alors même qu’il se trouvait dans son église et condamné à 14 jours de détention. Le motif en était une photo de lui avec un drapeau ukrainien, publiée sur sa page VKontakte en 2014. Le commentaire accompagnant l’image contenait une citation de la Bible : « Ainsi parle le Seigneur : n’allez pas déclencher une guerre contre vos frères. »
Le tribunal a estimé que le drapeau figurant sur la photo était un symbole extrémiste de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et a condamné l’ecclésiastique à 14 jours de détention administrative.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.