Chroniques de la Russie qui proteste // 30 juillet – 7 août 2023

Chroniques de la Russie qui proteste // 30 juillet – 7 août 2023

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville parle

Une habitante de Krasnodar de 21 ans portait un sac avec une inscription : «Sex is cool but putin’s death better» (Le sexe c’est cool, mais la mort de Poutine, c’est mieux ». Elle a été condamnée à une amende pour discrédit de l’armée. le dossier d’accusation contenaient également des photos de graffitis et de sacs portant la mention « Non à la guerre », ainsi que le cliché d’un sticker marqué « Paix » 


A Saint-Pétersbourg, une affiche est apparue avec une citation d’un roman d’Erich-Maria Remarque.

La guerre a fait de nous des gens sans valeur. Nous n’étions plus la jeunesse, mais des fugitifs. Nous nous fuyions nous-mêmes. Nous fuyions notre vie. Nous avions dix-huit ans et commencions tout juste à aimer le monde et la vie ; nous avons dû lui tirer dessus. Le premier projectile qui a explosé, c’est notre cœur qu’il a touché. Nous sommes coupés d’activités sensées, de nos désirs, du progrès, nous ne croyons plus en eux, nous croyons en la guerre. 

E.M.Remarque – A l’Ouest rien de nouveau

A Lipetsk, à l’entrée d’un magasin, des inconnus ont laissé des graffitis antimilitaristes

PoZor, Honte ! <le Z latin, lettre devenue symbole de la guerre, remplace le z russe contenu dans le mot honte en russe>

Photos d’inscriptions prises dans les rues de Beriozovski, Dzerjinski, Koulavna, Moscou et Oufa. 


Dans les rues de Saint-Pétersbourg, on peut voir apparaître des déclarations antimilitaristes 


Balachikha (oblast de Moscou) est contre la guerre : 


Syktyvkar rappelle La Haye (où se situe le Tribunal pénal international où Poutine a été accusé de crimes de guerre). 

« La Haye ! La Haye ! »

Manifestations individuelles et rassemblements 

Viktor Ghilin, militant de 77 ans, est resté une demi-heure debout avec cette affiche : « M. Poutine !  J’exige le réexamen d’urgence de la question de l’adhésion de la Russie à la Convention de l’ONU du 1er août 2010 concernant les bombes à sous-munitions ! ». Il avait déjà demandé l’arrêt de la guerre et du chantage nucléaire. Il a été arrêté. 


A Voronej, le militant Nikolai Borissov est allé manifester individuellement dans la rue avec un panneau contre la guerre indiquant « La guerre – c’est sale//Nous emportons notre saleté en Ukraine ».  Le militant a été arrêté pour la troisième fois, il avait été arrêté auparavant pour des affiches « Je suis contre la guerre » et « Peace to Ukraine ». 


Le Moscovite Egor Zaïtsev a manifesté tout seul en plein centre, avec une affiche « Non à la guerre ». Il a été arrêté le jour-même.  


Sur la Place Rouge, le Moscovite Piotr Kossoroukov est sorti dans la rue avec une affiche contre la guerre et contre Poutine. Il a été aussitôt arrêté et envoyé au commissariat de police.  


Un habitant de Saint- Pétersbourg, Dmitri Gvozdev, a manifesté individuellement contre la guerre. Il est sorti dans la rue avec une affiche « Non à la la guerre// Paix en Ukraine ». Il a fait l’objet d’un procès-verbal administratif pour discrédit de l’armée russe. 

Non à la la guerre// Paix en Ukraine

A Kabarovsk, le manifestant individuel Bogdan Chevchenko a été arrêté pour son affiche « Non à la brême » <nom de poisson à consonance proche du mot « guerre »> 


A Ekaterinbourg, Dmitri Rykov, manifestant individuel, a été arrêté pour une affiche pacifiste. 

Actions de sabotage 

En Russie, la vague d’incendies de bureaux de recrutement se poursuit. Cette semaine ont eu lieu plus de 24 tentatives d’incendies. Le 31 juillet par exemple, une femme de Kaloughi a jeté un cocktail Molotov sur un bureau de recrutement. La femme menaçait de « tout faire sauter à la grenade ».  


Dans la nuit du 31 juillet, dans la région de Krasnoyarsk, un inconnu a incendié deux armoires relais qui servaient à contrôler les systèmes de signalisation, de centralisation et de verrouillage. Les forces de l’ordre ont découvert sur les lieux de l’incendie une bouteille de limonade vide, un paquet de cigarettes et un spray au poivre. Ces derniers jours, au moins cinq incendies de matériel de chemin de fer ont été signalés: à Moscou, dans les Régions de Kaloughi, à Samara, à Saint-Pétersbourg et dans la Région de Lipetsk. Cependant, certains incendiaires, comme ce fut le cas pour les incendies de bureaux de recrutement, affirment avoir mis le feu aux armoires-relais contre rémunération ou à l’appel de malfaiteurs. 

Poursuites judiciaires

Le 2 août, un retraité de Novosibirsk, Takhir Arslanov, a été condamné par le tribunal à trois ans d’emprisonnement pour deux commentaires antimilitaristes. Il avait commenté l’un des incendies de bureaux de recrutement du style : « on comprend bien pourquoi cela arrive ». Le second commentaire était le suivant : « J’appellerais l’invasion militaire du pays voisin de « guerre de conquêtes des fascistes du Kremlin ». Qu’y a-t-il là de faux? En quoi cette invasion se différencie-t-elle de celle des années 39-41 ? » 


Un gestionnaire du bureau central des Chemins de fer de Moscou, dont le nom n’est pas divulgué, a raconté aux médias « on peut expliquer » (Можем объяснить) la pression de la part de la direction pour des critiques de la guerre et de Vladimir Poutine. Sur les réseaux sociaux, il a exprimé son désaccord avec la politique du Kremlin, après quoi, en janvier 2023, son supérieur l’a convoqué pour lui proposer soit de partir, soit de réfuter ses posts. Le gestionnaire a refusé, on lui a alors restreint l’accès aux secrets d’État, diminué son salaire et menacé de poursuites pour discrédit de l’armée et du statut d’agent de l’étranger. Par ailleurs, le gestionnaire a entendu cette phrase : « Vous n’êtes pas le seul ». Vraisemblablement, les employés des Chemins de fer en désaccord avec la guerre sont nombreux, mais les cas de brimades ne sont pas rendus publics. 


Un habitant de la Région de Nizhny Novgorod, Alexandr Gorelov, avait inscrit sur sa voiture : « Non à la guerre ». On est venu le perquisitionner à la recherche de preuves dans une affaire de faux signalement d’acte terroriste. Après cela, il a été emmené à la police où a été établi un procès-verbal pour « discrédit » de l’armée. 


Une habitante de l’Altaï, Aï-Tana Tougoudina a été condamnée à huit mois de travaux forcés avec une retenue de 10% de son salaire au profit de l’État pour discrédit réitéré de l’armée. Le dossier a été ouvert après des commentaires sur des informations concernant une autre habitante de l’Altaï qui voulait aider les services secrets ukrainiens. Selon la version du tribunal, Aï-Tana Tougoudina, «qui a pris conscience du caractère criminel de ses actes », avait publié des informations dans lesquelles elle jugeait négativement les actions de l’armée russe en Ukraine. 

Protestations en ligne 

Daniil Rogachev de Volgograd a été condamné le 4 août à une amende de 30 000 roubles (1,8 du SMIC). Rogachev avait discuté avec un partisan de Vladimir Poutine dans le groupe « Tchat Limite» et lui avait demandé sans ménagement pourquoi il n’était pas encore au front au lieu de rester à l’arrière à écrire des commentaires. Ces phrases et d’autres ont été considérées comme « discréditant l’armée ». 

Refus de faire la guerre 

Des femmes de mobilisés ont lancé une action : « Renvoyez papa à la maison ». Elles filment des vidéos de leurs enfants qui tiennent dans leurs mains des ballons gonflables portant les inscriptions « Renvoyez papa à la maison » et « Rendez-nous papa. Il me manque ». 


Le tribunal a condamné à six ans le vacataire Anatolii Ponomarenko pour abandon volontaire de son unité en période de mobilisation (sections 2.1, 3.1 et 5 de l’article 337 du code pénal de la Fédération de Russie). En mai, il s’était présenté lui-même à la police, mais en juin, le militaire avait été arrêté.  


Certains prisonniers du pénitencier de la région de Kalouga refusent d’aller se battre quand on essaie de les convaincre de partir pour la guerre. Ils subissent des sévices en retour. 


Un chauffeur-mécanicien de l’unité du district de Stavropol, Sinkov, a refusé d’exécuter l’ordre du commandant de l’unité de partir pour la guerre et a été ensuite condamné à deux ans et trois mois de prison ouverte. 

Culture 

Une interview anonyme est sortie, menée auprès d’une jeune fille qui continue d’interpréter des chansons antimilitaristes et les présente sur scène en Russie lors de concerts de musique de chambre.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.