Chroniques de la Russie qui proteste // 8-14 août 2023

Chroniques de la Russie qui proteste // 8-14 août 2023

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville parle


Togliatti

«Je suis russe et je suis contre la guerre en Ukraine !
N’allez pas aux commissariats militaires, ne prenez pas les convocations, n’écoutez pas ce qu’on vous raconte à la télévision ! Vous ne devez pas connaître la douleur de perdre vos fils à la guerre !»

Omsk

Les élections régionales s’approchent et les activistes ont commencé à coller les affiches « Russie Unie – parti de la mogilisation »

Le terme « mobilisation » a été modifié pour incorporer le mot russe « mogila » (tombeau) et ainsi former le néologisme « mogilisation »


Petrozavodsk

À l’ouverture de nouveau Musée « du récent », consacré aux enseignes lumineuses de l’époque soviétique a été allumée une enseigne « Miru Mir ! » («Pour la paix dans le monde!»).


Sticker « Paix à l’Ukraine ! »


Saint-Pétersbourg

Sticker anti-guerre à Saint-Pétersbourg (« La Russie bombarde les villes  »)


Le 11 août au soir, sur la place Shevchenko, est apparue une petite bannière avec les noms de deux jeunes filles musiciennes ukrainiennes, tuées pendant le frappe d’un missile russe à Zaporijjia : « Svitlana et Khristina ont été tuées par un missile, mais nous n’y sommes pour rien et pouvons aller tranquillement à la plage, car c’est l’été… »

Actions en ligne

Les hackers du groupe Sudo rm-RF ont piraté le site de Bureau d’Inventorisation technique de Moscou (MosgorBTI). Les activistes ont annoncé que toutes les données des fonctionnaires d’État, politiciens, militaires, représentants des services secrets qui soutiennent la guerre ont été transmises aux forces armées ukrainiennes.

Le Bureau d’Inventorisation technique de Moscou (MosgorBTI) s’occupe de la collecte des données techniques sur les biens immobiliers à Moscou, collecte et met à jour les informations sur les appartements, immeubles, maisons privées, résidences secondaires à l’extérieur de la ville, y compris les informations sur leurs propriétaires.

« Les infrastructures et les bases des données de MosgorBTI ont été détruites !
Nous avons toutes les données concernant les adresses et les propriétés des habitants de la capitale du maudit pays agresseur.
Les informations  concernant les fonctionnaires d’État, politiciens, militaires, représentants des services secrets qui soutiennent la guerre ont été transmises aux forces armées ukrainiennes.
Nous vous connaissons tous !
Nous savons tout !
Les ennemis seront trouvés et détruits !
Ayez peur de la juste rétribution ! »

Manifestations

Un habitant d’Ekaterinbourg est sorti manifester seul devant le monument à Lénine avec une pancarte « Non à la guerre ». Il a été arrêté par la police.


Alexandr Pravdine, agé de 73 ans, originaire du village Siversky (Oblast de Leningrad) est sorti manifester seul avec une pancarte portant l’inscription : « Marioupol : ville jumelée ou ville massacrée ? ». Cette pancarte fait référence au jumelage entre Mariupol et Grozny qui a eu lieu le 9 août. Depuis des années, Alexandre Pravdine milite dans son village : il mène des actions de soutien aux prisonniers politiques, manifeste contre les lois répressives .

Actions de diversion et sabotage

Le 8 août, des personnes non identifiées ont incendié une sous-station sur les chemins de fer dans la région de Belgorod. Les partisans ont réussi à détruire 7 accumulateurs utilisés pour alimenter les armoires à relais. Une bouteille en plastique avec des traces d’essence a été retrouvée à proximité du lieu de l’incident. Le comité d’enquête de la Fédération de Russie a ouvert une enquête. L’identité des incendiaires n’a pas encore été établie. 


Le 10 août dans la journée, un moscovite de 35 ans a lancé une bouteille contenant un mélange inflammable dans le bâtiment du commissariat militaire situé rue Karl Marx à Zaraïsk, une petite ville à côté de Moscou. Mais l’homme n’avait pas mis le feu à la bouteille et il n’y a pas eu d’incendie. Il a été immédiatement arrêté. 

Persécutions

Le tribunal de Mytichtchi a condamné à 6 ans de prison ferme Alexandre Bakhtine, un militant des droits des animaux de 51 ans. Il est accusé d’avoir partagé des « fakes » concernant l’armée russe. Au printemps de 2022, il a publié trois posts sur le réseau social Vkontakte : sur le siège de Kyïv, sur les exécutions des civils à Boutcha et sur les bénévoles ukrainiens qui risquent leurs vies pour sauver les animaux errants pendant la guerre.

Bakhtine s’est aussi retrouvé sous une obligation de soins psychiatriques, sans toutefois être interné. Les experts ont considéré qu’il « ne pouvait pas pleinement prendre conscience de la nature réelle et du danger social de ses actes et en assumer la pleine responsabilité ». 


Un traitement forcé a été imposé à un habitant de la région d’Orel, Mikhaïl Davydov, en raison du lancement de deux cocktails Molotov dans un bâtiment administratif. En août 2022, un inconnu à vélo a lancé deux cocktails Molotov sur la porte du bâtiment gouvernemental de la région d’Orel. Un petit incendie a été rapidement éteint. Une semaine plus tard, Davydov a été arrêté et envoyé dans un centre de détention provisoire. Dans un premier temps, il a été poursuivi pour « tentative de meurtre commise de manière dangereuse pour la société ». Plus tard, Davydov a été transféré dans un hôpital psychiatrique et l’affaire a été portée devant le tribunal en charge des attentats terroristes. 


Le comité d’enquête de Moscou a ouvert une enquête pour « faux sur l’armée » contre le pasteur baptiste Yuri Sipko. Sipko est soupçonné d’avoir diffusé « des fakes sur l’armée » « motivées par la haine ou l’inimitié politique, idéologique, raciale, nationale ou religieuse, ou par la haine ou l’inimitié contre un groupe social ». L’enquête a été ouverte en raison de la vidéo anti-guerre que le pasteur a publiée en mars 2022. Le pasteur lui-même ne vit plus en Russie, mais les forces de sécurité ont fait une perquisition chez ses proches à Kalouga, chez un autre ecclésiastique, le pasteur Albert Ratkin, et même dans le bâtiment de l’église de Kalouga. 


Olga, une habitante de Krasnodar, a accusé ses voisines, qui étaient en train de tisser des filets de camouflage, d’avoir « vendu leurs enfants à la guerre ». Les voisines, membres du chat pro-guerre « Boomerang du Bien », ont déclaré qu’elles dénonceraient Olga et sa mère. Plus tard, la chaîne Crimée SMERSH (sur le réseau social Telegram) a publié une vidéo de cet échange entre Olga et ses voisines, ainsi que les données personnelles d’Olga et sa mère, et déclaré que la mère d’Olga « avait tenté d’attaquer les épouses et les mères des participants de l’opération spéciale militaire ». Les deux femmes ont commencé à recevoir des menaces sur les réseaux sociaux, elles ont reçu des appels dont les auteurs menaçaient de « couper la tête » d’Olga.

Soutien aux activistes anti-guerre

En une heure et demie, les russes ont rempli une cagnotte en ligne, créée pour que la professeure de musique Anna Chagina, de Tomsk, puisse s’acquitter de son amende pour « discrédit des forces armées russes ». Le montant de l’amende était équivalent à 6 SMIC russes. Enseignante de musique et altiste, Anna a été de nouveau condamnée pour ses posts anti-guerre. Une cagnotte a été créée par un ami de la famille d’Anna.


À Saint-Pétersbourg, Vitaly Ioffe est sorti manifester seul pour soutenir la prisonnière politique Olga Smirnova. Il tenait une pancarte disant « 7 ans de colonie pénitentiaire pour Olga Smirnova, pour sa lutte contre le fascisme, contre la guerre, pour la vérité ». Les passants ont réagi de façon différente. « C’est ce qu’elle mérite !», a lancé une passante, tandis qu’un homme serrait la main de l’activiste.

Le 8 août, le procureur a demandé à l’encontre d’Olga Smirnova 7 ans d’emprisonnement pour des « fakes » sur l’armée russe.

L’accusation estime qu’après le début de la guerre, « motivée par la haine politique » cette dernière a publié au moins sept posts dans lesquels elle parlait notamment d’attaques contre des infrastructures et des installations culturelles en Ukraine, ainsi que de la mort de civils. La militante est enfermée dans un centre de détention depuis mai 2022. 

« 7 ans de colonie pénitentiaire pour Olga Smirnova, pour sa lutte contre le fascisme, contre la guerre, pour la vérité »

Sites mémoriels

À Omsk, devant la statue de Taras Shevchenko

Divers

Un tribunal à Ekaterinburg a clôt l’enquête pénale contre Alexandre Neustroev, qui a traité un garçon en bonnet avec la lettre Z de « con » et lui a conseillé de « se mettre dans le cul » son bonnet avec le symbole des partisans de la guerre en Ukraine. Cet incident avait eu lieu en avril. Une enquête pénale pour hooliganisme avait été ouverte contre Neustroev. Le tribunal a pris la décision de ne pas le poursuivre pénalement et lui a imposé une amende à hauteur d’une moitié du SMIC.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.