Chroniques de la Russie qui proteste // 5-12 février 2023

Chroniques de la Russie qui proteste // 5-12 février 2023

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


Photo ci-dessus : « Mémoire éternelle aux ukrainiens innocents assassinés ». Cimetière Levachovski, Saint-Pétersbourg.

Piquets, détentions, amendes, arrestations

Elena G., une habitante de Tver (en Russie centrale), a reçu une peine de 30000 roubles (environ deux fois le SMIC) en vertu de l’article « sur le discrédit de l’armée russe » (article 20.3.3 du Code des infractions administratives). Elle est accusée d’avoir déposé des fleurs sur un monument à la mémoire des ukrainiens assassinés à Dnipro le 14 janvier . Précédemment, une enquête avait été ouverte après la dénonciation d’un fonctionnaire local : le 21 janvier, l’homme avait appelé la police et avait indiqué que deux femmes avaient déposé des fleurs sur un mémorial improvisé. En février, il a été signalé que les forces de l’ordre se sont rendues chez la jeune femme et lui ont demandé des explications. 

À Saint-Pétersbourg, la police a arrêté Andreï Masliak qui faisait le piquet sur la place du Palais avec la pancarte : « Paix dans le monde ».

L’activiste civil Fiodor Protachtchik a été arrêté dans la nuit du 11 février à Moscou après avoir crié : »Gloire à l’Ukraine ! » 

À Saint-Pétersbourg, l’habitant de la ville Ivan Popov a été arrêté devant le « Cavalier de Bronze » avec la pancarte « Non à la guerre ». 


À Vladivostok (Extrême-Orient), Alekseï, a été arrêté pour avoir fait un piquet anti-guerre. Alekseï s’était rendu sur la place centrale avec la pancarte « Tu ne tueras point ». Des policiers l’ont amené au poste de police. Trois heures plus tard, une équipe psychiatrique est arrivée sur place et a amené l’homme dans un dispensaire de neuropsychiatrie, où l’on a tenté de comprendre ce qu’il voulait exprimer avec sa pancarte. 

Dans une piscine de Moscou, des policiers convoqués par un agent de sécurité ont arrêté Dimitri Roumchiski pour avoir porté un t-shirt avec un symbole ukrainien, a rapporté la femme du détenu. 

Le  tribunal régional de Novomoskovsk dans la région de Toula (Russie Centrale) a puni Stanislav Ermakov d’une amende de 45 000 roubles (l’équivalent de trois SMIC) pour avoir discrédité l’armée de la Fédération de Russie (partie 1 de l’article 20.3.3 du Code des infractions administratives). Il a réalisé une vidéo dans laquelle le discours du Nouvel An de Poutine était superposé à une chanson du duo ukrainien « Potap et Nastia ». Auparavant, une affaire similaire avait été déposée contre le DJ qui avait mis la chanson en ondes. 

L’activiste de Krasnodar (Caucase du nord) Vitali Votanovsk a été menacé de mort pour avoir pris des photos d’un grand nombre de tombes récentes dans un cimetière de l’organisation Wagner. 

A Moscou, en vertu de l’article sur le discrédit de l’armée (article 20.3.3 du Code des infractions administratives), des policiers ont dressé un procès-verbal contre Leonid Simonov, le chef du centre d’enseignement complémentaire pour la jeunesse. On lui impute deux reposts sur « Vkontakte » datant de février 2022 : un repost de la couverture de l’édition britannique Daily Star, où une image stylisée de Poutine figure sous celle d’Hitler, et une publication du « Véritable Ruban » (Настоящий лентач) portant sur la détention à Saint-Pétersbourg d’une survivante du siège de Léningrad alors qu’elle tenait un panneau « Non à la guerre ». De plus, les forces de l’ordre pensent que Simonov répand des informations qui discréditeraient l’armée russe, et qu’il affirmerait que l’opération militaire spéciale n’est « pas différente d’une guerre ».

En Tchouvachie (Russie Centrale), des partisans ont déchiré la partie proguerre d’une affiche collée sur une mosquée.

Dans la région de Vladimir (Russie Centrale), le tribunal a rejeté la demande d’un officier réserviste adressée à un bureau de recrutement. Farhad Djabbarov a demandé d’annuler sa convocation et son enregistrement dans l’armée, étant en désaccord avec l’action d’une armée qui attaque un État voisin.

Le tribunal du secteur de Krasnogorsk (région de Moscou) a changé la peine du colonel de réserve Mikhaïl Chendakov, de deux ans et demi de prison avec sursis à une peine réelle. Le 20 février, l’audience décide de passer d’une condamnation avec sursis (trois ans de détention pour une vidéo comportant une plaisanterie sur un membre de la Garde Nationale et un chirurgien) à une condamnation réelle. En 2022, Mikhaïl Chendakov a été accusé à deux reprises d’infraction administrative visant à discréditer l’armée (partie 1 de l’article 20.3.3. du Code des infractions administratives). Le tribunal l’a puni d’une amende de 30 000 roubles (l’équivalent de deux SMIC) pour avoir fait des publications anti-guerre sur le réseau «Odnoklassniki ».

Monuments dédiés aux personnes tuées lors des bombardement des villes ukrainiennes

Les Russes continuent d’ériger des mémoriaux publics à la mémoire des personnes tuées lors du bombardement de Dniepr, et ce malgré les détentions. De nouvelles villes se joignent à la campagne de commémoration : Velikiy Novgorod ( Russie centrale ), Vladikavkaz ( Caucase du Nord ), Ukhta et Naberezhnye Chelny ( région de la Volga ). Des fleurs continuent d’être déposées sur la pierre Solovetsky à Moscou, sur le monument dédié au capitaine Dyachenko à Khabarovsk ( Extrême-Orient ) et sur les monuments dédiés à Taras Shevtchenko à Novossibirsk et à Omsk ( Sibérie ). Les habitants d’Ijevsk ( région de l’Oural ) ont commencé à déposer des fleurs sur le monument dédié aux victimes des accidents nucléaires. Un nouveau mémorial a également été dressé à Svetlogorsk ( région de Kaliningrad ), à proximité du monument dédié aux victimes de la Première Guerre mondiale.

Incendies criminels

En Bouriatie ( Extrême-Orient ), Oleg Alexandrov, 56 ans, a mis le feu à un bâtiment du Comité d’enquête.

A Omsk ( Sibérie ), Anton P., 32 ans, a lancé des cocktails Molotov sur le bureau d’enregistrement et d’enrôlement militaire : la tentative d’incendie a échoué.

Dans la région d’Amour ( Extrême-Orient ), Roman P., 29 ans, a incendié le bureau de conscription des districts Magdachinsky et Skovorodinsky. La salle des archives et les fichiers concernant les conscrits ont été endommagés.

A Moscou, une armoire à relais a été détruite par les partisans, provoquant l’arrêt des communications ferroviaires.

Dans le district Bessonovskiy, dans la région de Penza, sur la ligne Grabovo – Bessonovka ( Russie centrale ), le trafic ferroviaire a été suspendu suite à l’incendie d’une armoire à relais.

Dans la région de Moscou, en direction de Kursk, une personne non identifiée a endommagé le système d’aiguillage.

Autres formes de protestation

La Douma d’État a formulé des amendements au Code des infractions administratives, introduisant des motifs supplémentaires mettant en cause la responsabilité de ceux ayant dénigré des combattants, y compris les combattants volontaires. Ces amendements permettront de dissimuler les crimes passés des mercenaires des compagnies militaires privées (PMC).

La rédaction du magazine orthodoxe « Feu de la grâce » (Благодатный огонь) a suggéré que soient déchus les 293 prêtres auteurs d’un appel à mettre fin à la guerre début mars 2022.

Le journal de propagande « Komsomolskaya Pravda » a publié des articles sur la guerre en Ukraine sur son site web. Ils ont été postés par Vladimir Romanenko, un ancien journaliste qui a quitté la Russie :  il a qualifié ses actes de « rédemption ». Le site a maintenant été restauré dans sa version antérieure. On peut retrouver ces articles grâce au service « Webarchive ». Titres des articles : « Poutine a ordonné le bombardement de villes pacifiques en Ukraine » ; « Quel est le coût de la guerre de Poutine en Ukraine » ; « Le régime du Kremlin a libéré des prisonniers armés » ; « La Fédération de Russie a commis des crimes à Bucha, Izyum et Gostomel » ; « La Russie est devenue une victime de l’occupation du régime de Poutine » ; « Les activistes russes continuent la résistance contre le régime de Poutine malgré la répression ». 

Copie d’écran du site avant sa reprise en main

L’administration du théâtre Sovremennik de Moscou a retiré de sa programmation le dernier spectacle mettant en scène l’actrice Liya Akhedzhakova, qui depuis 2014 a plaidé à de nombreuses reprises pour la fin de la guerre. Elle a également appelé ceux qui sont contre cette guerre à prendre la parole.

Source : my.ua

Objection de conscience au service militaire

L’appel sous les drapeaux de cet automne s’est terminé le 31 décembre. Il s’est déroulé avec un nombre sans précédent d’abus. Les conscrits ont été enrôlés de force dans l’armée « en un jour », pris dans la rue, dans le métro, dans les cafés ou les foyers et conduits au bureau de conscription, puis immédiatement au point de rassemblement. Mais certains conscrits se sont opposés à ces abus d’autorité et à cette violence manifestes et bien souvent, ils ont réussi à résister. « Meduza » a recueilli les témoignages de cinq conscrits résistants qui ont réussi à éviter d’être envoyés illégalement à l’armée.

Le témoignage de l’officier Dmitry Vasylets, lieutenant principal de la petite ville de Pechenga, dans la région de Mourmansk, a été publié. Il a servi cinq mois en Ukraine et n’a pas repris les armes après sa permission. Suite à l’annonce de la mobilisation et aux amendements faits au code pénal, il a été poursuivi pour «refus de prendre part aux activités militaires ou de combat ». Il a exposé ouvertement et systématiquement les raisons de son refus, à savoir ses convictions pacifistes. Ce qu’il a vu, ressenti et compris pendant la guerre a changé son opinion et, aujourd’hui, il estime qu’il n’est pas en droit d’ôter la vie à autrui. La déposition de Dmitry, à l’exclusion de quelques corrections minimales est un document extrêmement important.

 Dans la région de Volgograd, l’objecteur de conscience et croyant Anton Kuznetsov a été envoyé à l’armée « en un jour » et conteste maintenant devant les tribunaux sa convocation au service militaire. Sur la plateforme  « Zaodno (Dans le même bateau) », il a réussi à collecter 60 000 roubles pour financer sa défense.

 « Novosti 26 » a interviewé quatre jeunes hommes qui, avec l’aide des membres de la coalition « Appel à la conscience » ( Призыв к совести ), ont réussi à remplacer leur service militaire obligatoire par un service alternatif dans le civil.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.