Voix de guerre #4 : À l’usine de Volchansk, les Russes ont « torturé même le prêtre »

Voix de guerre #4 : À l’usine de Volchansk, les Russes ont « torturé même le prêtre »

Oleg Toporkov

Propos recueillis par Denis Volokha le 08.11.2022

Une usine de granulats située dans la ville de Volchansk, dans le nord de la région de Kharkiv, a attiré l’attention après que des responsables ukrainiens ont affirmé que les Russes y avaient créé un camp de concentration. Nous avons parlé au directeur adjoint de cette usine et au politicien local Oleg Toporkov, qui a été contraint de vivre sous occupation et de se cacher des Russes pendant des mois.


Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

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 – Que s’est-il passé à l’usine d’agrégats de Volchansk ?

 – Après y avoir installé une base, ils [les Russes] ont commencé à agir. Ils ont commencé à rechercher attentivement les patriotes pro-ukrainiennes qui soutiennent l’Ukraine à 100%. Il y en avait beaucoup et les locaux qui ont été [réquisitionnés] au début, comme les locaux du commissariat de district [de la police] – n’étaient pas suffisants. Et les emmener à la frontière était risqué et, d’après ce que j’ai compris, assez coûteux. Ils n’ont donc rien trouvé de mieux : une entreprise, avec des locaux isolés, qui ont servi de cellules de détention. Certaines parties des locaux ont été utilisées comme salles d’interrogatoire.

Il y a un pont à côté de l’usine et il y avait un barrage routier où les gens avaient l’habitude de passer. S’ils n’aimaient pas quelqu’un, quel que soit son âge ou son sexe, il était emmené pour être interrogé. Parfois, même, sans raison. Juste : « Je ne t’aime pas. » Et ils ont raflé.

Certains étaient juste détenus, d’autres ont été méthodiquement [emmenés] chaque jour pour être interrogés, torturés, afin d’obtenir des informations. Ils ont posé des questions sur la localisation, les liens familiaux de tel ou tel membre de l’ATO,  les officiers militaires, les représentants des autorités.

C’était un camp de concentration à part entière. Avec toutes les conséquences. Et les gens m’ont dit que certains étaient là pour un jour, d’autres pour plusieurs jours. Certains y sont restés depuis les premiers jours. Ils n’ont pas été autorisés à sortir. Des informations sur leur sort pouvait être glanées dans les paroles de ceux qui étaient sortis ou rapportées par d’autres personnes et parents.

Les Russes ont installé une « véritable salle de torture » dans l’usine, car il n’était pas pratique d’emmener toutes les personnes suspectes en Russie », explique Oleg Toporkov, qui a été emmené à Belgorod pour y être interrogé. © Volchanskiy Aggregate Plant/YouTube

 – Qui sont ces personnes qui ont été gardées là et non libérées ?

 – Ce sont des personnes différentes. Tout d’abord, il s’agit de membres de l’ATO, de personnes à l’esprit nationaliste, puis il y a d’anciens agents de la force publique, des représentants des autorités, des collectivités locales et des enseignants. Eh bien, pour comprendre cette liste, même un prêtre a été emmené et torturé avec du courant électrique pendant trois jours.

Filles, jeunes hommes, femmes, hommes … Tout. Dans tous les segments de la population, il n’y a pas eu de triage en catégories. Tout ce qui est ukrainien est tabou là-bas. Discours, actions, participation à quelque chose. Un homme peut être arrêté sur la route et une photo envoyée par quelqu’un est trouvée dans son téléphone . Ou partagé des nouvelles – et c’est tout.

Aucun cas de décès n’est connu avec certitude. Mais il y a des personnes avec lesquelles on n’a pas eu de contact depuis longtemps. Ils ont été emmenés, et leur sort est inconnu. Il ne donnent pas de réponses, et il n’y a personne pour se plaindre. Il n’y a pas de loi là-bas. C’est le chaos total. Vous comprenez, il n’y a même pas d’éthique militaire là-bas. Parce que ce ne sont pas des êtres humains. Juste les non-humains. On espérait qu’avec certaines catégories de personnes, ils seraient au moins humains, corrects dans la conversation, montrant un peu de pitié lorsque les femmes cherchaient leur mari ou les mères, eurs enfants. Mais non – il n’y a aucune pitié. Si les épouses viennent s’enquérir du sort de leurs maris et elles seront arrêtées elles-aussi.

 – Selon certaines informations, l’usine d’agrégats a été déplacée en Russie. Est-ce vrai ?

 – Eh bien, vous savez, pour moi personnellement, en tant que personne ayant fait partie de la direction de l’entreprise, l’état de l’entreprise et son intégrité sont d’une grande importance. Pour autant que je sache, il y avait des projets de ce type. Nous comprenions que le matériel et l’équipement pouvaient toujours être pris par quelqu’un.

Oleg Toporkov a été contraint de vivre sous occupation et de se cacher des Russes pendant plusieurs mois. Denis Volokha/KHPG

Mais le 7 avril, l’électricité a été coupée. Et il n’y en a pas eu pendant longtemps. Et sans électricité, il est difficile de démonter les équipements de production dans les ateliers. Pour démonter les équipements, les machines-outils – il est nécessaire de faire fonctionner les grues à portique qui longent les ateliers. Parce qu’il est impossible d’entrer et de retirer les machines. Il est possible de casser le bâtiment, mais l’équipement en pâtira. C’est pour cela qu’il était resté là-bas.

Certaines matières-premières ont pu être emportées, mais il n’y a pas eu de retrait délibéré des équipements de l’usine. En d’autres termes, l’usine est intacte à 99% pour le moment. Jusqu’à présent. Elle a été la cible de plusieurs tirs (sourires – ndlr). Eh bien, les fenêtres ont été soufflées. Mais il n’y a pas de dégâts significatifs. Dieu merci, elle est entière.


ENTRETIEN VIDEO (SOUS-TITRÉ EN FRANÇAIS)