(Re)Voir la soirée du 6 avril 2023

(Re)Voir la soirée du 6 avril 2023

English version below. The video of the event is available in English.

L’association Memorial-France a organisé, le 6 avril 2023, avec ses partenaires le Barreau de Paris et la FIDH, une soirée sur le thème « Crimes en série, répressions en chaîne. Comment lutter contre l’impunité et défendre les droits humains dans la Russie en guerre ? » à la Maison du Barreau de Paris. Devant un amphithéâtre rempli de plus de 300 personnes, des défenseurs des droits humains venus d’Ukraine, de Russie, de Syrie et de Côte d’Ivoire ont tracé des liens entre les crimes commis par le pouvoir russe, depuis plus de trente ans, en Fédération de Russie comme hors de ses frontières, en Tchétchénie, en Syrie, et la guerre actuelle en Ukraine. Du fait de l’implication des troupes mercenaires Wagner en Afrique, des traces de cette chaîne d’impunité sont reconnaissables aujourd’hui au Mali. Restés impunis, les crimes russes se perpétuent au fil des crises et agressions militaires dont l’Etat russe se rend systématiquement coupable. La guerre que mène la Russie en Ukraine est au cœur de l’actualité et elle s’inscrit bien  dans une suite de conflits armés au cours desquels, depuis les années 1990, de nombreux crimes de guerre ont été documentés. Leurs responsables ont bénéficié d’une impunité érigée en système et ces hommes passent aujourd’hui d’un conflit à l’autre sans être inquiétés malgré quelques tentatives de les traduire en justice, notamment au niveau des juridictions internationales. 


(RE)VOIR LA VIDEO (en anglais uniquement)


A l’intérieur de la Fédération de Russie, les libertés et les droits fondamentaux font l’objet d’attaques répétées. Anciennes, ces répressions se sont considérablement aggravées depuis l’agression russe de février 2022. Aujourd’hui l’expression d’opinions non « loyales » aux autorités et à la guerre menée contre l’Ukraine est durement criminalisée, et la liste des prisonniers politiques s’allonge tous les jours. Pour penser et agir collectivement contre l’impunité et pour la défense des droits humains, l’association Mémorial France, la FIDH et le Barreau de Paris ont organisé une conférence exceptionnelle le jeudi 6 avril de 18h30 h à 21h afin d’entendre celles et ceux qui défendent les droits humains et documentent les crimes et les répressions, établissent les responsabilités, et tentent de lutter contre l’impunité.

La rencontre a été introduite par Vincent Nioré, vice-bâtonnier de Paris.

L’objet de la première table ronde, modérée par Anna Neistat, directrice juridique de la Fondation Clooney pour la Justice, était de comprendre comment, malgré le contexte d’impunité dont jouissent les responsables russes, il était possible de documenter les nombreux crimes commis depuis les années 1990 dans les conflits armés ayant engagé la Russe, et de tenter de poursuivre leurs auteurs. 

Yuliia Chystiakova, juriste ukrainienne actuellement à l’université Paris Nanterre dans le cadre du programme Pause, a exposé les spécificités des violences sexuelles et sexistes dans le contexte de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Forte d’une expérience de plusieurs années de documentation et d’analyse au sein de l’ONG East Ukrainian Center for Civic Initiatives , elle a décrit les obstacles qui rendent difficile les poursuites judiciaires contre les auteurs des crimes sexuel, pourtant très nombreux, dans le conflit ukrainien. Outre des difficultés d’ordre juridique, des contraintes particulières pèsent sur les victimes de violences sexuelles : réticence à parler, manque de considération pouvant entourer leurs témoignages, tabous sociaux, manque de formation des services de police et de justice dans la collecte des plaintes … Dans ce contexte difficile, les collaborations internationales et le travail des ONG, en lien avec les enquêtes de la Cour Pénale Internationale, sont de la plus grande importance.

Alexandre Tcherkassov, l’un des principaux auteurs du rapport “Une chaîne de guerres, une chaîne de crimes, une chaîne d’impunité : Les guerres russes en Tchétchénie, en Syrie et en Ukraine” paru en février 2023, a insisté sur l’importance de se souvenir de l’ampleur des crimes commis par les troupe russes avant 2022 et même avant le début de la guerre dans l’est de l’Ukraine en 2014 pour éclairer la situation en Ukraine. Il est revenu sur les crimes commis lors des deux guerres de Tchétchénie et sur l’impunité dont ont bénéficié leurs responsables. Ce système d’impunité se mit en place dans les premières heures  de la Russie post-1991. La « jeune Russie démocratique » de Boris Eltsine n’a en effet pas été épargnée par des violences qui témoignent de l’absence de travail sur le passé répressif de la Russie soviétique. Une absence dont l’invasion de l’Ukraine mais aussi d’autres conflits attestent aujourd’hui tragiquement. On constate aujourd’hui la présence de hauts gradés militaires sur les terrains de combat en Ukraine, alors même qu’ils ont  été impliqués dans des crimes documentés lors les conflits précédents.

L’avocat syrien Mazen Darwish, président du Centre Syrien des Médias et de la Liberté d’Expression (CSM), a ensuite raconté la procédure judiciaire intentée en Fédération de Russie contre un militaire russe de la société Wagner, identifié sur une video comme auteur d’un crime de guerre. Si la quête de justice a été vaine et a abouti à un non-lieu en Russie, Mazen Darwish comme A. Tcherkassov sont convaincus que la responsabilité et l’impunité doivent absolument être documentés afin d’être portés tôt ou tard en justice.

Drissa Traore, défenseur des droits humains de Côté d’Ivoire et vice-président de la FIDH, est venu témoigner des exactions dont se rendent, d’après les rapports, coupables les hommes de la société Wagner dans un contexte où le ressentiment vis-à-vis de la présence française a peu à peu nourri une indulgence croissante de la part des autorités de plusieurs pays du Sahel vis-à-vis d’une influence russe multiforme qui ne contribue ni à la stabilité ni à la réduction des violences dans la région.

La seconde table ronde, intitulée « Dans la Russie en guerre : répression des mobilisations et criminalisation des militants » a été animée par Sacha Koulaeva, chargée de cours à SciencesPo Paris (PSIA) et membre de Mémorial France. 

Daniil Beilinson, fondateur de l’initiative de lutte contre répressions OVD-info, a montré l’ampleur des entraves érigées contre les libertés publiques en Russie. Depuis sa création en 2012, OVD-Info collecte les témoignages des citoyens et militants arrêtés et poursuivis en Russie pour leurs prises de position protestataires. OVD-Info les conseille et assure leur défense devant les tribunaux. Depuis l’agression militaire russe contre l’Ukraine en février 2022, les manifestations publiques en Russie sont férocement réprimées. Les militants sont poursuivis au nom des nouveaux articles du Code pénal pénalisant la critique des forces armées, ce qui rend la protestation extrêmement dangereuse. En dépit de la grande difficulté de la situation, la nécessité de poursuivre la documentation et l’analyse de cette répression rend le travail d’OVD-info toujours aussi pertinent.

Natalia Morozova, de la FIDH, a analysé l’évolution des législations répressives en Fédération de Russie. La FIDH a publié récemment un rapport qui recense les lois répressives adoptées depuis 2018. Ces textes, durcis encore après le début de la guerre contre l’Ukraine, permettent d’interdire toute forme de critique contre l’action de l’Etat russe. Le législateur russe adopte en permanence de nouveaux textes, à la vitesse d’une « imprimante en folie » dont l’encre ne s’épuise jamais. N. Morozova souligne la piètre qualité de textes de lois qui, mal conçus, sont sans cesse amendés. Cette multiplicité de lois interdit désormais toute forme de protestation publique au risque de lourdes poursuites. Elle inspire aussi d’autres Etats autoritaires, tentés d’importer les lois russes dans leurs propres pays, à l’exemple de la loi sur les « agents de l’étranger » désormais en vigueur au Nicaragua, au Salvador, au Vénézuéla, au Guatémala, au Kazakhstan et en Azerbaïdjan. Sur une note plus optimiste, Natalia Morozova a souligné que ce recensement de la législation répressive pourrait aussi fournir la liste des premières lois à abroger en cas de changement de régime en Russie…

Yana Gelmel, juriste et défenseure des droits des prisonniers, originaire d’Ekaterinbourg, dénonce le recrutement des détenus par les sociétés militaires privées et par l’armée en Russie depuis février 2022. Elle rappelle que les responsables de sociétés militaires privées ont fait le tour des prisons du pays pour recruter des hommes pour le front, privilégiant les prisonniers condamnés pour les peines les plus lourdes en leur faisant miroiter une amnistie au terme de leur engagement, salaires et récompenses aux familles en cas de blessure ou de décès. Si beaucoup ont péri sur le front, ceux qui reviennent sont « ensauvagés par la guerre », et, sans aucun suivi post-traumatique, sont à même de commettre de nouveaux crimes après leur retour à la vie civile comme en témoignent de sanglants faits divers en Russie récemment. Le bien connu syndrome du Vietnam, décrit tout autant pour les vétérans soviétiques d’Afghanistan et pour ceux de Tchétchénie, pourrait avoir d’encore plus terrible conséquences dans un contexte de militarisation des droits communs qui continue, mais aussi de la propagande généralisé et d’atmosphère de légitimation de la violence.


Malgré les incessantes persécutions, les travaux de Memorial se poursuivent. Vous pouvez à tout moment vous informer sur la suite des événements et sur ses travaux sur le site de Mémorial France et sur ses réseaux sociaux.

Mais également, suivre les travaux de Memorial sur les sites internet dédiés :

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Serial Crimes, A Chain Repression: How to fight against impunity and defend human rights in Russia at war

(Re)watch the event

On April 6, 2023, Memorial-France organized, with its partners the Paris Bar Association and the FIDH, an event on « Serial Crimes, A Chain Repression: How to fight against impunity and defend human rights in Russia at war » at the Maison du Barreau de Paris (Paris Bar association). In front of an amphitheater packed with more than 300 people, human rights defenders from Ukraine, Russia, Syria and Ivory Coast drew links between the crimes committed by the Russian authorities, for more than thirty years, in the Russian Federation as well as outside its borders, in Chechnya, In Georgia, in Syria, and the current war in Ukraine. Because of the involvement of Wagner mercenary troops in Africa, traces of this chain of impunity are traceable today in Mali and beyond. Russian crimes go unpunished and are perpetuated through various crises and military aggressions of which the Russian state is constantly getting guilty of.  

Indeed, the war that Russia is waging in Ukraine is at the heart of the news and is part of a series of armed conflicts during which, since the 1990s, numerous war crimes have been documented. Those responsible for these crimes have benefited from a system of impunity, and the same perpetrators are now moving from one conflict to another unbothered, despite some attempts to bring them to justice, notably at the level of international jurisdictions.   

Within the Russian Federation, fundamental rights and freedoms are repeatedly attacked. These violations and repression have been going on for a long time and have considerably worsened since the Russian aggression of February 2022. Today the expression of dissenting opinions to the authorities and to the war against Ukraine is harshly criminalized, and the list of political prisoners is growing every day. To think and act collectively against impunity and in defense of human rights, the association Memorial France, FIDH and Paris Bar Association organized an exceptional conference on April 6 to hear from those who defend human rights and document crimes and repression, establish accountability, and try to fight against impunity. 

The meeting was opened by Vincent Nioré, Vice President of the Paris Bar. The purpose of the first round table, moderated by Anna Neistat, Legal Director of the Clooney Foundation for Justice, was to understand how, despite the context of impunity enjoyed by Russian officials, it was possible to document the numerous crimes committed since the 1990s in armed conflicts involving Russia, and to attempt to prosecute their perpetrators.  

Yuliia Chystiakova, a Ukrainian jurist currently based at the University of Paris Nanterre as part of the Pause program, presented the specificities of documenting sexual and gender-based violence in the context of the Russian-led war in Ukraine. Drawing on several years of experience in documentation and analysis with the NGO East Ukrainian Center for Civic Initiatives, she described the obstacles that make it difficult to prosecute perpetrators of sexual crimes in the Ukrainian conflict. In addition to legal difficulties, particular constraints weigh on the victims of sexual violence: reluctance to speak out, lack of consideration for their testimonies, social taboos, lack of training of police and justice services in collecting complaints, etc. In this difficult context, international collaboration and the work of NGOs, in connection with the investigations of the International Criminal Court, are of the utmost importance. 

Alexander Cherkasov, one of the main authors of the report « A Chain of Wars, a Chain of Crimes, a Chain of Impunity: Russian Wars in Chechnya, Syria and Ukraine » published in February 2023, insisted on the importance of remembering the extent of the crimes committed by Russian troops before 2022 and even before the beginning of the war in eastern Ukraine in 2014 to shed light on the current situation. He revisited the crimes committed during the two wars in Chechnya and the impunity enjoyed by those responsible. This system of impunity was put in place in the early days of post-1991 Russia. The « young democratic Russia » of Boris Yeltsin was not spared by violence which testifies to the absence of reconciliation with the repressive past of Soviet Russia. This absence the invasion of Ukraine – but also other conflicts – tragically attest to today. Today we see the presence of high-ranking military officers on the battlefields of Ukraine, though the same very officers were involved in well documented crimes during previous conflicts. 

Syrian lawyer Mazen Darwish, president of the Syrian Center for Media and Freedom of Expression (CSM), recounted the legal proceedings brought to the Russian Federation against a Russian military officer from the Wagner group, identified in a video as the perpetrator of a war crime. While the quest for justice was not successful and resulted in a dismissal inside Russia, both Mazen Darwish and Tcherkassov are convinced that accountability and impunity must be documented in order to be brought to justice sooner or later and may be outside the country’s borders. 

Drissa Traore, a human rights defender from Côte d’Ivoire and vice-president of the FIDH, came to testify about the abuses reportedly committed by the men of the Wagner group in Mali in a context where resentment of the French presence in the region has gradually fueled a growing indulgence on the part of the authorities of several Sahelian countries towards a multi-faceted Russian influence that contributes neither to stability nor to the reduction of violence in the region. 

The second round table, entitled « In Russia at war: the repression of mobilization and criminalization of activists » was moderated by Sacha Koulaeva, lecturer at SciencesPo Paris (PSIA) and member of Memorial France.   

Daniil Beilinson, co-founder of the anti-repression initiative OVD-info, showcased the extent of the obstacles erected against public freedoms in Russia. Since its creation in 2012, OVD-Info has been collecting testimonies of citizens and activists arrested and prosecuted in Russia for dissent and protest activities. OVD-Info gives them legal advice and defends them in court. Since the Russian military aggression against Ukraine in February 2022, public demonstrations in Russia have been ferociously repressed. Activists are prosecuted under the new articles of the Criminal Code criminalizing the largely understood “criticism of the armed forces”, which makes protesting extremely dangerous. Despite the very difficult situation, the need for further documentation and analysis of repression makes the work of OVD-info as relevant as ever. 

Natalia Morozova, from FIDH, analyzed the evolution of repressive legislation in the Russian Federation. FIDH recently published a report that lists the repressive laws adopted since 2018. These laws became even stricter after the beginning of the war against Ukraine, allowing the prohibition of any form of criticism against the actions of the Russian state. The Russian legislative bodies are constantly adopting new laws, at the speed of a « printer in madness whose ink never runs out”. Natalia Morozova underlined the poor quality of the laws which are badly conceived and constantly amended. This multiplicity of laws now forbids any form of public protest at the risk of heavy prosecution. It also inspires other authoritarian states to import Russian laws into their own countries, such as the law on « foreign agents » now in force in Nicaragua, El Salvador, Venezuela, Guatemala, Kazakhstan and Azerbaijan. On a more optimistic note, Natalia Morozova pointed out that this outline of repressive legislation could eventually be used as a list of the first laws to be repealed in the event of a regime change in Russia… 

Yana Gelmel, a lawyer and defender of prisoners’ rights from Ekaterinburg, denounced the recruitment of prisoners by private military companies and the army in Russia since February 2022. She recalls that the managers of private military companies have been going around the country’s prisons to recruit men for fighting in Ukraine, giving preference to prisoners sentenced to the heaviest penalties by promising them amnesty at the end of their service, salaries and rewards to their families in case of injury or death. Many of them died on the front and those who returned were « impoverished by the war » and, without any post-traumatic follow-up, were capable of committing new horrific crimes after their return to civilian life, as shown by recent bloody events in Russia. The well-known ‘Vietnam syndrome’, describing as much the Soviet veterans of Afghanistan as those of Chechnya, could have even more terrible consequences in a context of continuing militarization of armed criminals, but also of generalized propaganda and of an overall atmosphere of legitimization of violence. 

Despite the continuing persecution, the work of Memorial continues. At any time, you can find out more about what is happening and about the work of Memorial on their website and on its social networks. 

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