Voix de guerre #36, Oleh Sidorenko : Que fait un aumônier militaire et qui en a besoin ?

Voix de guerre #36, Oleh Sidorenko : Que fait un aumônier militaire et qui en a besoin ?

Et quel est le rapport avec les tcheboureks [chaussons frits garnis de viande hachée et d’oignons] ? Le lieutenant-colonel des forces armées ukrainiennes Oleh Sidorenko se rappelle une histoire du service.


Je m’appelle Oleh Sidorenko. Je suis lieutenant-colonel des forces armées ukrainiennes, dans le commandement des forces terrestres. Dans le passé, j’ai été officier du ministère de l’Intérieur, colonel dans la police. Et je suis aussi un serviteur du Seigneur Jésus-Christ.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un aumônier ? Un jour, j’ai eu une conversation avec un pasteur qui m’a demandé : « Quelle est la différence entre le ministère d’un aumônier et celui d’un évangéliste ? L’évangéliste prêche partout, apporte la nouvelle du salut aux gens. N’est-ce pas ce que font les aumôniers ? » Non. Le travail et l’objectif sont les mêmes. Mais la direction, le vecteur de ce travail est tout autre, car un aumônier est aussi un évangéliste, mais dans un milieu professionnel particulier. Sa tâche n’est pas uniquement de porter la bonne parole, mais aussi de devenir partie intégrante d’une équipe.

Illustration : Maria Krikounenko / Groupe de défense des droits humains de Kharkiv

Je ne peux m’empêcher de me souvenir d’une histoire. En 2015, dans la 28e brigade se trouvait un cuisinier qui avait comme surnom « Cosmos », depuis quelque temps il était en permanence démoralisé. C’était un excellent cuisinier. C’était une équipe masculine, un peloton de 28 gars. Et lui, c’était le cuisinier de ce peloton. Il se traînait, maussade, sans savoir que faire de lui-même. Je lui ai parlé, et il m’a dit qu’il avait des problèmes avec sa femme. Qu’elle était fatiguée : avant, son mari était un civil, il travaillait près d’elle, en tant que cuisinier dans un restaurant. Et puis il est parti à la guerre, et il a alors consacré tout son temps non pas à elle, ni à leurs deux fils, mais à cette équipe militaire. Elle voulait demander le divorce. Je lui ai demandé le numéro de téléphone de sa femme et je l’ai appelée.

J’ai dit à Natalia combien c’était difficile pour nous, sur la ligne de front, sur la ligne zéro, combien nous avions besoin de ressentir la proximité d’une chaleur familiale, une certaine forme d’attention et le confort d’un foyer.

Et c’est justement le cuisinier qui crée cela, lorsqu’il ne se contente pas de faire bouillir des pommes de terre, de les mettre sur la table et d’ouvrir une boîte de ragoût. Par exemple, dans un champ près de Stanitsa Louhanska, son mari avait construit un poêle improvisé avec une plaque de fer. Il avait préparé une pâte avec de la farine et de l’eau. Et avec du ragoût en boîte et des oignons (parce qu’il n’y avait rien d’autre sur la ligne de front), il avait fait une farce, à partir de laquelle il a préparé des tcheboureks, qu’il a fait cuire directement sur un réchaud ordinaire au milieu de la tente.

Évidemment, cela redonne le moral, quand on vit sur le terrain dans des conditions épouvantables, quand il arrive qu’on se réveille dans une flaque d’eau s’il a plu la nuit. Dans ces situations, bien sûr, tout le monde est démoralisé. Et voilà que le cuisinier vous sert des plats comme ça, préparés à partir d’ingrédients simples, mais ils remontent le moral.

Lorsque j’ai dit à Natalia que le déroulement de nos missions de combat, et donc la paix et la tranquillité dans notre pays et dans sa famille, ne dépendaient que d’un seul homme, son mari, elle a changé d’attitude envers lui. Lorsque je l’ai revu quelque temps plus tard, il était très heureux et reconnaissant que l’aumônier ait réussi à sauver sa famille.

Repas sur le front, image d’illustration : Depositphotos

Le fait est qu’il y a une grande différence entre une aide psychologique apportée à des victimes et à des personnes souffrant de TSPT (trouble de stress post-traumatique) et un aumônier qui aide une personne sur le plan spirituel. Je peux comparer un psychologue à un médecin dans un cabinet médical. Vous vous sentez malade, vous avez mal à la gorge, vous allez chez le médecin. Le médecin vous examine, rédige une ordonnance, prescrit un traitement. Lorsque vous êtes rétabli, vous revenez le voir, il clôture votre arrêt maladie. Voilà ce que fait le psychologue.

Que fait un aumônier ? Lorsque quelqu’un est malade, il va à l’hôpital et est suivi personnellement par un médecin. Et dès le début, du diagnostic au traitement et jusqu’au rétablissement complet, le médecin est constamment aux côtés du patient. Chaque jour, il procède à un examen médical, effectue des tournées dans le service, communique personnellement avec chaque patient. Il modifie le traitement si nécessaire, surveille l’état de santé de son patient, lui parle. Et finalement, c’est une personne en bonne santé qu’il laisse sortir.

Par exemple, une personne souffre d’un syndrome de stress post-traumatique. L’aumônier communique avec son entourage. Avec le commandant, à qui il demande de ne pas élever la voix contre ce soldat, parce qu’il est en phase de stress post-traumatique.

Viennent ensuite les relations familiales. Il téléphone à l’épouse, aux enfants, à la mère. Il leur demande d’appeler ce militaire plusieurs fois par jour au téléphone et de lui dire à quel point elles l’aiment, à quel point elles lui font confiance. Qu’elles se sentent protégées grâce à son engagement dans cette guerre.

Le soldat se remplit alors de ces émotions, l’aumônier communique avec lui, lui raconte des histoires bibliques des héros de l’époque de l’Ancien et du Nouveau Testament. Surtout celle du personnage principal, Jésus, qui lui aussi avait peur. Lui aussi était effrayé et souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique, révélé lors de sa prière dans le jardin de Gethsémani. Ces exemples aident le ou la militaire à se débarrasser de ce trouble et à devenir un membre normal de l’équipe.

Un militaire ukrainien, image d’illustration Depositphotos

Tout d’abord, je suis moi-même militaire, donc c’est un peu plus facile de communiquer avec eux avec les mots des militaires. Pendant deux ans et demi, j’ai été constamment sur la « ligne zéro », dans les unités de combat de la 28e brigade mécanisée. C’était donc tous les jours la même chose. Avant un combat, je leur disais avec ferveur : « Les gars, c’est Jésus-Christ lui-même qui nous mène dans cette bataille ! C’est un vainqueur ! Il a remporté la victoire au Golgotha, et aujourd’hui, il triomphe de toutes les ténèbres de ce monde, il va nous mener à la victoire ! Il est avec chacun d’entre vous ! Il vous aide à viser juste ! Il vous aide à recharger rapidement vos chargeurs ! Il est là, avec vous, souvenez-vous-en ! Notre seul espoir est en Jésus. Ce n’est qu’avec lui que nous vaincrons ! En avant, avec Jésus vers la victoire !

Voilà ce que je leur disais avant le combat. Et après, si quelqu’un était blessé, mes mots d’encouragement habituels étaient que Jésus serait toujours là pour lui. Et même la nuit, lorsque par exemple le médecin s’occupe des autres, lorsque l’infirmière ou l’un de tes camarades s’est endormi et que tu es seul avec toi-même, rappelle-toi que tu n’es pas seul.

Jésus est assis près de ton lit et dit toujours : « Je ne connais pas la fatigue. Je ne te dirai jamais de m’attendre, parce qu’il faut que j’aille parler aux autres, que j’ai d’autres choses à faire, ou que je suis désolé, mais que je veux être seul maintenant ». Jésus ne dirait jamais cela.

Il te dira toujours : « Donne-moi ta main, je la prendrai dans les miennes. Je te tiendrai fort. Je ne te lâcherai pas, je resterai à tes côtés aussi longtemps que tu en auras besoin. Et je t’écouterai à tout moment, tout le temps. Parle-moi, je veux t’écouter, je veux t’entendre. Je veux t’aider. Ne me quitte pas, et je ne te quitterai jamais, parce que tu es à moi ».

Le but des aumôniers n’est pas de conduire à la repentance, ni au baptême ou à l’église. Ça, c’est l’affaire de Dieu. Notre rôle est de présenter Jésus-Christ aux autres. De leur dire à quel point il est bon, aimant et immuable. Que son amour durera toujours. Voilà notre objectif.

Un militaire ukrainien avec un aumônier. Image d’illustration Depositphotos 

J’aime beaucoup ce qui se fait aux États-Unis, où les personnes qui reviennent de la guerre en Afghanistan et en Irak se voient immédiatement attribuer des vacances obligatoires avec leur famille : leur femme, leurs enfants. Il doit y avoir des événements culturels, avec des visites d’artistes, des concerts, des tournois, des concours. À son retour, la personne ne doit pas juste se reposer passivement, s’allonger sur le rivage, déjeuner, dîner et se coucher. Non !

Il est nécessaire que des groupes spéciaux les réadaptent socialement en permanence, leur fassent comprendre qu’ils font partie intégrante de la société. Qu’ils lui sont essentiels, ils en sont un rouage.

Une montre suisse est une bonne montre, fiable, mais enlevez la moindre vis et elle s’arrêtera de fonctionner. Il faut expliquer à chaque militaire que lui et sa famille sont une composante nécessaire de la société qu’il a défendue, pour laquelle il a donné sa santé et peut-être même une partie de son corps. Ces programmes devraient être mis en place au niveau de l’État, et non par des bénévoles.

Un militaire ukrainien. Image d’illustration Depositphotos


Vient ensuite la réadaptation sociale. Si une personne ne travaille plus, il convient d’établir des relations étroites avec les centres pour l’emploi, en fonction de la profession du soldat atteint de TSPT. Il est nécessaire de savoir où cette personne peut être employée avec la plus grande efficacité pour elle. Pas pour l’État, mais pour cette personne.

Imaginons que je reviens de la guerre, et qu’actuellement, on a besoin de constructeurs, mais je ne suis pas un constructeur, je ne peux pas faire ça. Je suis journaliste, poète, compositeur. Alors cette personne doit être entraînée, impliquée dans ces activités. Si elle est laissée seule face à ce problème, elle n’ira jamais au centre pour l’emploi, ne cherchera pas de travail. Et elle se repliera chaque jour davantage sur elle-même, comme un escargot dans sa coquille. Et à la fin, c’est là qu’elle mourra, sans sortir de là.

Lorsque la société prendra soin des militaires revenant de la guerre, elle prospérera parce que ceux-ci feront tout leur possible et transposeront toutes leurs connaissances, compétences et désirs dans le domaine où ils seront aidés à se trouver eux-mêmes.

La guerre est une lutte. C’est une lutte entre les ténèbres et la lumière. La lumière gagne toujours, mais les ténèbres ne déposeront pas simplement les armes. Les ténèbres feront tout leur possible pour réduire la lumière dans ce monde. Pour qu’il y ait moins d’amour, moins de bonté, moins de de respect entre les gens. Et pendant que cette lutte continue, nous devons rassembler toutes nos forces, adresser toutes nos prières à Dieu. Mais pour cela, nous devons purifier nos cœurs. Dieu n’a pas besoin de personnes doubles de cœur. Les personnes doubles de cœur ne peuvent pas communiquer avec Dieu. Tout d’abord, chacun doit purifier son cœur. Se détourner du péché à 180 degrés. Et faire face à Dieu. Tourner le dos aux ténèbres, au mal.


Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

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